(hommage à Hélène Cixous)
Jonas d'une lignée nouvelle
Ph G.AdC
JONAS D’UNE LIGNÉE NOUVELLE
Le cinéma se tient en plein air. Plusieurs écrans géants offrent tout un kaléidoscope d’images. Nous avons choisi d’aller voir la nouvelle version, récemment sortie, des Aventuriers de l’arche perdue. L’écran panoramique, circulaire et tournant, affiche des extraits prometteurs d’émotions, de surprises, de dangers imprévisibles. Nous nous répartissons par nacelles. Elles sont étroites et brinquebalantes. La mienne s’élance d’un seul coup sur ses rails. Je n’ai même pas eu le temps de prendre mes repères. Je me trouve tout aussitôt emprisonnée entre des abrupts de montagnes. La pente est vertigineuse, encombrée ça et là de rondins d’arbres dépecés qu’il faut enjamber. Je m’agrippe de toutes mes forces aux branchages ancrés dans les escarpements de roches. Uniquement attentive à l’endroit où je pose les pieds. J’avance lentement parmi tous ces obstacles, prenant appui de la main et du pied sur des éléments protecteurs. Les nacelles ont disparu, absorbées devant moi. Je crains que l’épreuve ne soit trop dure pour Yann qui a été emporté sous mes yeux. Avalé. J’entends des cris que répercutent en échos les parois des ravines. J’apprends, je ne sais comment, que mon petit garçon a déboulé la pente et s’est fracassé un peu plus bas. Je hurle de terreur et d’angoisse. Je cherche par tous les moyens à revenir en arrière. Mais cela n’est pas possible. Je me débats pour échapper à cette mécanique impitoyable qui refuse de se plier à mon désespoir. Des filets de sang éclaboussent de leurs traces les pierres en contrebas. Ce n’est pas lui, je l’ai laissé plus haut. C’est le sang d’un autre. Comment savoir ? Je me lance à plat ventre dans une pente à 20 p. cent. Pourquoi 20 p. cent ? Mes membres sont griffés au passage par les branches de buissons aux épines à l'acéré implacable, qui impriment leur marque dans ma chair éprouvée. J’arrive devant un antre fermé par une porte. Il faut actionner le petit clapet noir qui en permet l’ouverture. Le clapet cède sous la pression des doigts. La porte béante s’ouvre sur un couloir sans fond. Je m’y engouffre. Me voilà avalée, tête la première dans ce tunnel sans fin. Je sais que je suis perdue, que je n’ai pas pris le bon chemin, que les dragons chinois vont m’aspirer jusqu’à mon dernier souffle. Une nuit profonde m’enveloppe dont je ne peux sortir. Je suis engloutie dans une masse aveugle, Jonas d’une lignée nouvelle.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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