Elle raconte. Elle raconte l’histoire de Jeanne. La quatrième fille de Philippine, sa grand-mère. Jeanne, délaissée dès sa naissance sous la soupente à bois, dans le legnaghju. Jeanne, la plus qu’« indésirée ». Sa grand-mère au visage triste. Aux lèvres serrées que ne déride aucun sourire. Même fugace. Cette femme douloureuse, c’est Jeanne, la mère de sa propre mère. Celle dont personne ne sait parler. Ni ses fils, ni sa mère à elle. Toujours sa mère lui parle de Pierre. Le père. Toujours elle revient à lui, le père, dès que lui vient à elle la question obsédante de Jeanne. Comme si Jeanne n’avait pas eu d’existence propre. Jeanne, dont elle porte le prénom. Et qu’elle n’a pas connue.
D.R. Texte angèlepaoli |
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«Taire de femmes», sobre et magnifique intitulé où le pluriel est inclus : les «taires» de femme sont immémoriaux et parfois perpétués par elles-mêmes, souvent à leur insu.
J'aime ton invitation à rendre visible «la chose tue». Elle ne recouvre pas forcément «la chose secrète», j'imagine plutôt qu'il s'agit de mettre en réserve, autant qu'en exergue, «l'informulé littéral», «l'affleurement unique et instantané d'une vérité personnelle confrontée à elle-même». Elle peut devenir ici «l'interprétation de soi» à vocation universelle, à cause de sa texture ontologique de féminité et de sensualité sexuée. Il ne s'agit pas d'un Nième prurit féministe et anti-masculin, il s'agit de rétablir une équité et une authenticité dans l'expression individuelle. Une femme qui parle pour ne rien dire est une femme désertée par le Désir de l'Autre. «Elle bavarde»... dit-on... Sa séduction est donc sans trajectoire réellement assumée, elle est vidée de son sens et cela peut devenir mortel pour elle à terme. Une sorte de suicide mental, moral et social. Les femmes que j'admire dans le Monde des Lettres et des Arts sont des femmes qui pensent tout haut et parfois en actes, sans cabotinage et sans esprit de domination. Elles incarnent des «Passerelles» pour l'intelligence et la vitalité ordinaires.
Pour accompagner mon «Dire», je t'offre en contrepoint ce texte de Michel Thion tiré de son Traité du silence, qu'il a accompagné de peintures d'Anne Weurlesse. Edité par Voix d'encre en 2004.
«On distingue le silence ancien à son usure douce, au froid des nuits de l'espace dont il garde toujours trace, au grain légèrement rauque de son murmure intérieur. On croit le saisir, il a disparu. Il revient quand on ne l'attend plus. Il est là. Le silence récent est parfois douceâtre, parfois acide, il est instable, changeant, nerveux, volatil. Il faut le saisir au vil. Il n'est pas discret. On pourrait le croire agressif. Souvent il meurt en pleine jeunesse.
[...]
Je vous regarde en silence et je pense à la douceur que nous partageons. Vraiment notre rencontre a eu lieu au jardin des silences, à l'ombre des larmes murmurantes.»
Rédigé par : Mth P. | 12 décembre 2004 à 13:57
et la petite a bien senti et elle a mis des mots, des maux, sur ce silence, le silence - la vie de ces femmes qui étaient glacées un peu, peut-être, glacées par un secret, et oui la petite le savait, elle savait que si la Jeanne avait été déshéritée c'était à cause d'un secret, elle le savait bien la petite et il n'y avait rien à redire là-dessus, sur les paroles de la petite, la petite qui comprenait le langage et tout ce qui n'est pas dit dans le langage, elle le savait bien la petite... et tous ces mots si tendres, si beaux, et tous ces mots qu'il ne faut pas troubler par d'autres qui ne seront que de la théorie, et qui viendront brouiller les mots, les mots de la petite, qui a compris l'incompréhensible.. qui s'approche de l'incompréhensible, de l'impalpable...
clem.
Rédigé par : clem | 24 juillet 2005 à 15:04
J'ai vu cet après-midi un reportage sur ce lieu que vous évoquez ici avec tous ces murmures d'enfance. Magnifique !
Rédigé par : Christiane | 22 février 2010 à 19:58