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IL Y EUT UN MATIN LITTÉRAIRE…
Sans rougir, je peux affirmer que la littérature, je l’ai aimée dès mes débuts de « grande » ! D’abord grâce à mon père, ce grand découvreur de textes et ce « passeur », à qui je rends hommage, par-delà les années qui me séparent de lui depuis sa disparition. Un jour, il lui a pris de faire entrer Rhinocéros dans la salle de séjour. Il nous en lisait de longs extraits. Et ce fou de Ionesco était convié à notre table ! Midi et soir ! Au grand dam de ma mère, que cette étrangeté, peu orthodoxe selon ses critères de femme rangée, dérangeait. J’étais en sixième et je riais à en pleurer. Il faut dire que mon père était irrésistible dans le rôle du dénommé Dudard ! « Faut vous dire Monsieur » que Ionesco, en ce temps-là, c’était de la contre-culture ! Et de la vraie !
Car pour la culture classique, il y avait le collège… et son latin, la version tous les jours et le thème du mercredi. Virgile et ses Bucoliques, Horace et ses Odes, Salluste et sa Guerre de Jugurtha, César et sa Guerre des Gaules… Cicéron vitupérant contre Catilina et courant après ce truand de Verrès. Il y avait, qui déambulait sur la passerelle reliant les différents bâtiments, la cohorte en majesté des professeurs « importants » et respectés. Parfois adulés. Des personnalités. Des femmes exclusivement ! Avec elles, dès les bancs du collège, j’ai aimé le Cid et Horace, Cinna et Polyeucte. Les vers de Corneille me donnaient le frisson, même si leur sens m’échappait parfois ! Souvent ! Cette musique de l’alexandrin, ce carcan magnifique, le rythme mystérieux des longues tirades aux enjambements complexes, les combats ardus entre Horaces et Curiaces, les dilemmes entre gloire et amour, les litotes et les métaphores ! Tout cela m’exaltait, qui passait par la voix vibrante de mon professeur de 4e, à la fois terrrriblement crainte et tellement aimée ! J’aimais trembler en l’écoutant, j’aimais encore davantage trembler en récitant les vers que j’avais appris « pour elle » et découverts « par elle » ! « Avec elle », j’ai vogué en remontant le cours mystérieux du temps et voyagé dans l’espace conquérant du monde de la Renaissance. J’ai jonglé avec les « paroles gelées » de maître Alcofribas. Grâce à elle, grâce au maître François, j’ai planché et transpiré sur ma première dissertation, mon premier plan en trois parties, avec la consigne d’élucider cette phrase dont les mots dansaient et papillonnaient devant mes yeux. Sans parvenir à se faufiler dans mes neurones encore engourdis de fillette qui lit « les yeux assis dessus le livre » : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Quelle audacieuse modernité ! Bien avant que de m’y rendre, j’ai visité en nostalgie le Petit Liré et fréquenté les muses coquines de la Fontaine Bellerie. Avec Ronsard et Louise Labé, j’ai souffert les mille maux de l’amour bien avant que de les vivre ! Je me suis balancée au bout d’une corde avec le grand Villon. Et j’ai fréquenté les tavernes borgnes avec ce maraud de Clément ! Il m’a fallu « entrer en lycée » pour m’ennuyer copieusement avec Hervé Bazin. Heureusement, il y eut Racine… il y eut Phèdre pour me sauver d’un mortel assoupissement et me plonger avec délices dans l’enfer dévorant de la passion. Après… il y eut les autres, tous les autres, les modernes disait-on, mais les grands ! Je me suis vengée de Bazin et de quelques insipides avec Mauriac et Montherlant, Cocteau et Gide.
De Gide, à quinze ans, j’avais lu tous les livres. Ou presque. De Gide, nous dissertions, frères, sœurs et cousins. Pendant des heures entières, sous la canicule du plein été corse, sur les rochers de la marine de Ghjottani, en contrebas de mon village, entre deux plongeons dans la mer azurée. Azur ! « Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde… ». De retour au lycée, nous attendions avec ferveur l’entrée solennelle de notre professeur de lettres, qui ne manquerait pas, un jour de somnolence, de nous tancer vertement en nous lançant que la culture manquait de bras ! Nous vivions encore, c’est vrai, les beaux temps bucoliques de l’agriculture. Avec ce maître-là, il en pleuvait des dissertations… qui nous occupaient des heures entières ! « Des heures entières sous les arbres »... de la cour de récré à discuter, à échanger, à bâtir un plan, à le déconstruire. À réfléchir. Avec les moyens du bord ! De bien modestes moyens. Quelques bouquins échangés en douce avec nos rêves. Et des citations latines qu’en élèves consciencieux, nous enroulions et déroulions sur des morceaux de parchemins délavés.
Au-dehors, la vie était morne et triste. Celle des adultes. Combien plus riche était la nôtre, celle que nous vivions, adolescents, en littérature. Je consacrais le temps béni des récréations à rédiger des lettres d’amour enflammées, « façon marquise vos beaux yeux... »… de Sévigné ou façon Rabutin, pour mes camarades de classe empêtrées dans leurs mots malhabiles. Mais mes plus belles inventions littéraires, je les rédigeais pendant les compositions de mathématiques. À partir de théorèmes appris par cœur et dont je me berçais en les récitant. Je me lançais ensuite, devant le tableau, dans des délires pataphysico-poétiques qui me valaient l’anathème de mon professeur désespéré. Et un examen de mathématiques à chaque rentrée ! Cela ne m’a jamais guérie ni de mon imaginaire... ni de la poétique ni de ses grandeurs !!
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli |
bonjour,
Quelle chance d'avoir baigné tôt dans la littérature. Moi, j'ai mis du temps. Je faisais des maths pendant les cours de français.
Tu as une belle plume et ton blog est d'une lecture très agréable. Sans doute l'atmosphère de la Corse qui transparaît.
Rédigé par : Fulcanelli | 16 décembre 2004 à 16:25
Le possible du merveilleux
Grazie tanto, eminente dottore Fulcanelli :
« Tous les instruments sont-ils [...] une cause d'erreur ? Loin de là; mais ils indiquent la vérité dans une limite si restreinte que leur vérité n'est qu'une vanité. Donc il est impossible d'y attacher une vérité absolue. C'est ce que j'appelle l'impossible du réel et dont je prends acte pour affirmer le possible du merveilleux. »
Fulcanelli, Les Demeures philosophales, Editions Pauvert, 1979, tome premier, page 128.
Rédigé par : Angèle Paoli | 16 décembre 2004 à 19:58
Giuseppe Tattarletti dessine de très beaux rhinocéros !
- RHINOCEROS N°10
- RHINOCEROS N°14
RHINOCEROS N°15
Amicizia
Guidu___
Rédigé par : Guidu | 30 septembre 2008 à 11:05
Tu me traques jusque dans mon bestaire, cavaliere ! Merci pour cette collection très graphique de "rhinodontes"! Le rhinocéros, double terrestre du cœlacanthe ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 01 octobre 2008 à 00:09
Carnets du père - chimères invisibles - texte bouleversant...
J'ouvre le lien proposé pour le mot "Rhinocéros" et voici une lecture imprévue, une bouffée d'adolescence qui croise ma lecture de ce jour (Roland Barthes pour Jean Daniel).
Je m'efface pour lui laisser la parole.
"... je suis parfois saisi de la brusque envie de me souvenir. Aucune occupation ne tient alors ; j'interromps tout, je me jette sur mon lit, et je revois ou je ressens des scènes, des odeurs, des goûts, des lumières, des visages de mon passé.
[...]
...le grain du souvenir...sensations fines dont l'anecdote n'est que le support...la figure du père, le passage des frères et soeurs, le souvenir d'un professeur, celui d'une émotion... ces sensations sont éternelles, elles définissent par leur discrétion même, le "c'est ça !" du souvenir : j'atteins la figure incomparable de ce qui ne s'est produit qu'une fois, et peut dès lors revenir d'une façon voluptueuse et déchirante...
[...]
...l'enfance est hors du temps : c'est une utopie du temps, une "uchronie", c'est un âge au sens mythique du terme... il est libre - libéré de toute détermination -...
[...]
Car ce qui fait l'homme, c'est d'avoir une enfance, non telle qu'elle est vécue... mais telle qu'elle est remémorée, l'enfance nous donne l'image d'un souverain bien, parce que dans ce temps...j'ai la vie infinie devant moi - autrement dit, je suis immortel..."
Ce sont, de Roland Barthes, quelques fragments de la préface qu'il a écrite pour Le refuge et la source, un livre émouvant de Jean Daniel, Gallimard, coll. "Folio", 1979.
Rédigé par : Christiane | 31 juillet 2009 à 12:23
Vous me faites redécouvrir ce texte qui remonte au tout début de mon travail d'écriture. Je le relis avec plaisir et même avec bonheur. Je m'y retrouve, inchangée (presque !). Vous êtes une fouineuse et vous progressez dans l'art de vous servir des liens et donc de naviguer sur mes terres.
Je découvre en même temps ce texte de Roland Barthes écrit pour Jean Daniel. Je retrouve bien là, derrière les mots de cette préface, l'homme Barthes, que j'aimais tant, dont la sensibilité me bouleversait et l'écrivain, dont les analyses me comblaient.
Rédigé par : Angèle Paoli | 03 août 2009 à 01:33