L’INSECTE De tes hanches à tes pieds Je veux faire un long voyage. Moi, plus petit qu’un insecte. Je vais parmi ces collines, elles sont couleur d’avoine avec des traces légères que je suis seul à connaître, des centimètres roussis, de blafardes perspectives Là se dresse une montagne. Jamais je n’en sortirai. Ô quelle mousse géante ! Et un cratère, une rose de feu mouillé de rosée ! Par tes jambes je descends en filant une spirale ou dormant dans le voyage et j’arrive à tes genoux, à leur ronde dureté pareille aux âpres sommets d’un continent de clarté Puis je glisse vers tes pieds Et vers les huit ouvertures de tes doigts, fuseaux pointus, tes doigts lents, péninsulaires, et je tombe de leur haut dans le vide du drap blanc où je cherche, insecte aveugle et affamé ton contour de brûlante poterie ! EL INSECTO De tus caderas a tus pies quiero hacer un largo viaje. Soy más pequeño que un insecto. Voy por estas colinas, son de color de avena, tienen delgadas huellas que sólo yo conozco, centímetros quemados, pálidas perspectivas. Aquí hay una montaña. No saldré nunca de ella. Oh qué musgo gigante! Y un cráter, una rosa de fuego humedecido! Por tus piernas desciendo hilando una espiral o durmiendo en el viaje y llego a tus rodillas de redonda dureza como a las cimas duras de un claro continente. Hacia tus pies resbalo, a las ochos aberturas de tus dedos agudos, lentos, peninsulares, y de ellos al vacío de la sábana blanca caigo, buscando ciego y hambriento tu contorno de vasija quemante! Pablo Neruda, « L’insecte », Le désir, Les Vers du capitaine, Gallimard, Collection Poésie, 1998, p. 180. |
PABLO NERUDA ■ Pablo Neruda sur Terres de femmes ▼ → 12 juillet 1904 | Naissance de Pablo Neruda → Le potier → Le vent dans l’île → Me gustas ■ Voir aussi ▼ → (sur le site Nobelprize.org) une notice bio-bibliographique sur Pablo Neruda et le Discours prononcé à Stockholm (en espagnol) à l'occasion de la remise du Prix Nobel (10 décembre 1971) |
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Cela fait plusieurs fois que je relis ce poème et je pense immanquablement à cette scène très étrange de la visite à l'immense sexe de femme que fait le héros du film Parle avec elle de Pedro Almodovar. Suis-je la seule à faire cette association ?
Rédigé par : Florence Trocmé | 29 décembre 2004 à 19:53
En effet, Florence. En le relisant après ta reflexion, la même image m'est venue à l'esprit. A suivre...
Rédigé par : kyoko | 30 décembre 2004 à 16:17
Ah le fantasme féminin chez l'homme latin ;) Un brin de dérision chez le sicilien Vitaliano Brancati:
"... 'La femme, disait celui-ci [le grand avocat], est le sel de la terre. Un écrivain qui se désintéresse de la femme ne sera jamais lu par personne.' L'imagination du grand avocat, au contraire, était pleine de jouvencelles équivoques, de femmes démoniaques, de lauriers-roses flamboyants, de lèvres pulpeuses. 'Le plus grand écrivain de la terre, c'est Gabriele d'Annunzio!' disait-il. Et quand, les soirs d'hiver, couvert d'un châle, un verre de magnésie à la main, il passait du cabinet à la salle à manger et à la cuisine, les mots qu'il transportait dans son crâne, sous le mouchoir noué aux quatre coins, étaient: violettes, soyeux, légèreté, fragrance, somptueux, velours, accord mineur, exquis, acacias, opulent, empire, ambigu, joyaux. C'est pourquoi, s'il retournait s'endormir dans la pénombre, sa silhouette, telle une fenêtre d'albâtre opaque derrière laquelle pointe l'aube, semblait émettre une lueur. C'était ce monde dannunzien, disait le fils, ces adjectifs et ces mots splendides, qui faiblement transparaissaient. 'Mais tu es fou? disait la mère. Ce sont les boutons de sa chemise!'... "
in Le Vieux avec les Bottes, Vitaliano Brancati, 1946, Flammarion, 1995, page 59
Rédigé par : JC-Milan | 13 février 2005 à 11:26