(hommage à Hélène Cixous)
BÉBÉS-COCONS
Je suis attendue chez une vieille tante par alliance, Simone R de F. Une grande dame qui m’impressionne. Tant par sa noblesse de souche ancienne que par son physique haut en couleur. Haut lignage et grande distinction. Elle me fait entrer dans son appartement, immense, moderne, très lumineux. Viviane, sa petite fille est là aussi. Jeune femme au nez busqué, comme celui de son aïeule et à l’embonpoint prometteur. Je déambule, légère et silencieuse, d’un salon à l’autre. Le salon Rouge Impérial, le salon japonais, sobre et chic, le salon Henri IV aux meubles lourds et sombres. Je choisis le salon japonais, ouvert à des rituels inconnus. Simone s’occupe de ses chats tout en me racontant les épopées de sa jeunesse.
Moi, je m’occupe de mes enfants. Ils sont deux, minuscules. Couchés tête-bêche dans un berceau de fortune. Un berceau improvisé avec des restes de fanfreluches démodées. Les bébés sont emmaillotés dans des langes qui ne laissent voir que la rondeur de leur minois. On dirait des bébés-cocons. J’en prends un du bout des doigts, délicatement. Il tient dans ma main, mais se tortille, se dérobe et finit par m’échapper. J’ai peur qu’il ne tombe sur le sol et ne se brise. Mais non, il rebondit sur le matelas de son berceau et s’enroule autour de son presque jumeau. Je laisse un moment les petits à leur sommeil. Je sors pour me rendre à la pharmacie acheter un hochet en caoutchouc. Je n’ai plus d’argent, mais qu’importe.
Je m’éloigne de la ville et m’avance vers le littoral. Je m’enlise dans une mousse éparpillée par mottes gluantes et filandreuses. L’eau monte progressivement le long de mes cuisses. Elle est froide. Des hurlements très violents me ramènent à la réalité. Une horde de jeunes gens hirsutes et braillards se livre à une joute. Ils se battent au couteau dans un combat sans merci. Je rejoins leur groupe d’un pas tranquille. Je passe imperturbable parmi eux. Sur la pelouse, Simone a installé des transats.... et préparé une table avec quelques cocktails. Je pénètre dans le salon japonais. Je cherche le berceau. Il a disparu. Les bébés-cocons aussi. J’entends des rires dans mon dos. Je me retourne, incrédule. Ce sont les enfants. Ils ont grandi pendant mon absence. Je reste là, avec mon hochet devenu inutile. Ils se moquent gentiment de ma surprise et de l’incompréhension qui se lit sur mon visage. Ils dégustent leurs cocktails savants, affalés dans les transats. Dans la cuisine, le long corps bizarrement rétréci de Simone gît sur le carrelage. Un chat miaule son indifférence.
Angèle Paoli
D.R. Texte angelepaoli
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Très beau texte qui retranscrit parfaitement ce que l'on ressent dans un rêve, cette sorte de surréalisme qui bien qu'irréel au possible, semble vraisemblable
Rédigé par : Fulcanelli | 20 décembre 2004 à 09:58