« MAMINA »
Elle partageait avec elle, dans son grand lit, de longues et interminables siestes. « Mamina » passait des heures entières à lui brosser langoureusement les cheveux, de longs cheveux. Tout en lui fredonnant de douces et lancinantes mélopées. Elle plongeait alors dans un abandon sensuel et bienheureux. Elle était aux anges. Elle, la petite Angèle, qui portait aussi le nom de cette grand-mère-là, sa « mamina » tant aimée. Et puis soudain, elle s’envolait. S'échappait des bras enjôleurs de son aïeule (Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Etait-elle vraiment aussi âgée qu’elle l'imaginait ? Peut-être avait-elle à peine l’âge qui est le sien aujourd’hui ?).

D.R. Ph. angelepaoli
À son réveil, elle filait s’engouffrer dans son armoire à glace où elle retrouvait l’odeur de son corps. Une odeur de violettes. Elle en ressortait, noyée dans ses robes, dont elle raffolait. Des cotonnades fluides et soyeuses, ajourées de dentelles. Elle se parait de ses chapeaux, qu’elle extirpait précautionneusement et délicatement de leur immense boîte noire. Mystérieuse. Elle se couvrait tout entière de ses bijoux. De ses colliers de perles translucides, irisées de lumière. Elle chaussait ses escarpins à talons. Elle se lovait dans ses parfums. Elle passait les heures chaudes de l’après-midi à parader devant la glace sous ses yeux myopes de spectatrice attendrie, émerveillée de ses jeux. Innocents ?
Angèle, sa grand-mère, était sous son charme. Et elle le savait.
Plus tard, dans l’après-midi, ils sortaient tous ensemble. « Babbò » leur faisait prendre le car, place Saint-Nicolas. Et ils partaient à l’aventure. Une bien modeste aventure ! Ils descendaient quelques kilomètres plus loin à peine, au-delà de Toga, poussant parfois jusqu’à Erbalunga.
« Babbò » les installait à l’ombre de chênes-lièges, « mamina » et elle. Il confectionnait pour elles des sièges de fortune avec les pierres plates abandonnées là. Fidèles habitués de ce coin de verdure et de fraîcheur, ils posaient leurs marques comme des stèles, inviolées d’une fois sur l’autre. « Babbò » sortait de son cabas toutes sortes de trésors. De la ficelle, des planchettes de bois, quelques clous, des bouchons et surtout son vieux canif. Pour sculpter le liège. Avec patience et précision. Elle voyait surgir des roues. Quatre roues identiques. Elle voyait surgir peu à peu, sous le travail de ses doigts habiles, les premiers éléments du berceau qu’il fabriquait pour sa poupée de chiffon. En fin d’après-midi, elle repartait avec le dernier jouet créé pour elle seule.
« Mamina », elle, sortait de son cabas à carreaux des « canistrelli » au vin, qui craquaient bon sous la dent. La panetta dans laquelle la petite glissait une barre de chocolat noir. En se léchant les doigts avec délice. Au retour, ils s’arrêtaient à Brando, pour prendre les blocs de glace. « Babbò » les mettait à l’abri dans une grande cuve de la cuisine. Qui faisait fonction de réfrigérateur.
A peine de retour à la maison, elle se précipitait, nu-pieds sur le balcon, pour inaugurer le berceau confectionné pour elle sous la chênaie. A sa demande, « Babbò » venait le parachever par une capote rustique montée sur des cerceaux. Entretemps, « mamina » avait cousu toute une literie miniature, à volants et à dentelles, pour le bien-être de sa poupée de chiffon. Et son bonheur, à elle. Elle jouait là, à la fraîche, pendant des heures, absorbée par ses « taraillettes » et ses jouets en bois. Parfois, elle interrompait ses activités de petite bonne femme pour lancer vers le soleil couchant des bulles de savon irisées de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Elles s’élevaient légères dans l’air du soir, puis éclataient soudain sans bruit, sans laisser de trace. Le balcon de l’appartement de ses grands-parents paternels à Bastia, c’était là, le paradis de sa petite enfance. De là, elle avait vue sur le monde, sur le monde à l’entour, le manège des ménagères qui faisaient glisser leur lessive sur des cordages qui s'enroulaient et se tendaient autour de poulies grinçantes. Elle aimait ce va-et-vient dont elle épiait le ballet deux fois par jour. Linge mouillé, linge sec, qui habillait l’air chaud du matin et du soir.« Mamina » participait aussi de cette fête de la lessive dans laquelle, le soir venu, il fallait reconnaître son linge parmi celui des autres familles. C’était le moment d’un échange entre femmes, d’un bout à l’autre de l’immeuble. D’invectives et de rires partagés. De nouvelles qui circulaient en même temps qu'une suspension flottante de pyjamas et de linge de corps. Ou, selon les jours, de draps et de nappes rustiques, battant pavillon devant la mer. Du balcon, elle observait la chute éclatée des détritus, lancés à toute volée par-dessus les rebords de fenêtres. Quand ce n’était pas les vases de nuit dont les contenus valsaient effilochés par-dessus sa tête. Elle observait aussi le mouvement descendant ascendant des paniers qui partaient vides et se balançaient, légers, le long des parois d'immeuble, et remontaient, ralentis dans leur course par leur plein de journaux, de miches de pain, de bouteilles de lait, de figues ou de grappes de raisins. Il fallait tendre le bras au passage pour se saisir de cette provende aéroportée. Elle aimait ces gestes de la vie ménagère, ces moments de rien, faits de détails si minuscules, aujourd’hui disparus.
Angèle Paoli
D.R. Texte angelepaoli
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et la petite fille était un espoir pour sa grand-maman et son grand-papa et la petite fille était un astre dans leur horizon, elle était un astre qui brillerait toujours et ils le savaient bien que la petite fille serait un astre pour eux éternellement, et la petite fille le soir venu a écrit tout ceci pour eux, en souvenir d'eux, enlacée dans ses souvenirs et les voiles des robes de sa grand-maman,
clem.
Rédigé par : clem | 24 juillet 2005 à 14:45
Bonsoir, j'ai particulièrement goûté ces deux textes: Mamina et icônes sous verre.
Ces deux textes me renvoient à beaucoup de souvenirs personnels, mais non identiques bien entendu.
Un fait étrange, j'ai connu une personne dont la mère était appelée "mamina" et dont la fille avait pour diminutif Clem.
Je te salue bien Angèle.
A une autre fois
Rédigé par : jubilacion | 09 mars 2006 à 00:07
Bonjour Jubilacion, Edith et Pascale,
Merci pour votre présence à mes côtés. Je suis parisienne jusqu'à demain. Soirée Andrée Chedid à l'IMA pour ce soir.
* Jubilacion, j'espère que ta thalasso s'est bien passée. Dis-moi sur mon courrier perso.
Rédigé par : Angèle | 09 mars 2006 à 11:11
Je marche sur Terres de femmes, en exploratrice, en voyageuse... Terres d'émotions... Par un heureux hasard, je fais halte ici... Mamina ! C'est ainsi que m'appellent mes deux petits-fils, Matéo 5 ans et Léandro 2 ans... pas encore de petite-fille !
Un instant... j'échange simplement l'odeur des violettes pour celle des fleurs d'oranger... Un instant... je me surprends à rêver que mes petits enfants témoignent de leur amour pour Mamina... Un amour éternel...
Je reçois par tes mots, en cadeau, l'enfance que je n'ai pas eue !
Rédigé par : thanna | 20 mai 2006 à 19:22
Thanna, je suis bouleversée par tes mots... et par le nom que te donnent tes deux petits enfants. Il y a de bien étranges transmissions et recoupements. Les histoires des femmes de Méditerranée se répondent, à l'infini.
Rédigé par : Angèle Paoli | 20 mai 2006 à 22:28
De mammina à mamma comme une noria... l'eau de la vie... se transmet...
Rédigé par : Christiane | 05 mai 2009 à 10:18
Pour Alma
(Et sa Mamina solaire)
Petite fille de Mai
brin de lumière éclos
Tu ne peux pas savoir
ce que tu viens leur dire
à ceux à celles à tous
qui t’attendaient
On attendra encore
que tu prennes le temps
d’accrocher tes sourires
aux promesses ambiantes
Dans tes doigts minuscules
une île accostera
pour te bercer longtemps
et te laisser grandir
Mth P Lyon le 8 Mai 2009
Rédigé par : Mth P | 08 mai 2009 à 09:12
=> Mth,
"la mamina solaire" est vraiment très émue de lire ce bel hommage de bienvenue à Alma ! Alma mettra son petit pied sur l'île le mois prochain. Et déjà il me tarde !
Merci à toi, ma belle.
Rédigé par : Angèle Paoli | 10 mai 2009 à 18:52