Andrea Zanzotto/Filò, la Veillée
Alors qu’il travaille au doublage de son Casanova, tourné en anglais, Federico Fellini demande à Andrea Zanzotto s’il accepterait d’écrire un texte en dialecte vénitien pour l’ouverture du film.
Hommage à la Sérénissime, cette ouverture met en scène une cérémonie initiatique qu’engage le doge. Rituel marqué par l’apparition nocturne, devant les Vénitiens rassemblés, d’une déesse que les flots tenaient jusque-là engloutie (cf. Ezra Pound, Les Cantos, Ebauche de Cantos, XVII). A la fois mère et putain, cette « divinité lagunaire », cette chrysoprase surgie des flots, est offerte au désir des hommes qui feulent devant cette théogonie :
« Rèitiai s’ainàtei vebélei »
cri dédicatoire initial à la grande déesse Rèitia, guérisseuse et tisserande. Puis qui couvrent d’injures la promesse de femme encore émergeante, au moment où sombre dans les abysses son visage qui se dérobe pour toujours à leur désir :
« Vulve fouteuse, cul foireux, baba catabà, vieille puante. » Aàh Strùssia
Cette « cérémonie… métaphore idéologique du film tout entier », Fellini attend de Zanzotto qu’il en compose, en un dialecte poétique rénové et vivifié, « plurivénitien » donc, une sorte de récitatif mimant le rituel, le cadençant, depuis la miraculeuse émergence de cette figure tutélaire, jusqu’à la disparition de cette « dragonne d’argent », de cette « bougresse de sorcière ». La première section qui forme le recueil est un « Récitatif vénitien ». Les hommes y scandent la mise hors de l’eau de ce « simulacre » de carton-pâte et leur chant se mue en huées à l’instant de l’effondrement et de l’engloutissement de la Poupée géante dans l’écume placentaire du Canal Grande. La place fondamentale accordée aux comptines et aux rengaines dicte au poète le choix du sizain et du décasyllabe. Chaque strophe se clôt sur une formule incantatoire lancée à la gloire de Venise/Vénus :
« Aàh Venessia/aàh Regina/aàh Venùsia ».
Les comptines, on les retrouve dans la Cantilène londonienne. Chanson fredonnée en « petèl », « la langue câline » par laquelle les mères bercent leurs tout-petits :
« Pin penin/valentin/pena bianca/mi quaranta/mi un mi dòi mi trèi mi quatro… »
Intitulée La Veillée/Filò comme le titre éponyme du recueil, la troisième section du livre est « un discours qui sert à faire passer le temps ». En réalité, un « discours second », une « méditation » née au cours de cet itinéraire étrange mené entre mythe et dialecte, qui puise largement dans le dialecte rustique haut Trévisan. Langue maternelle du poète, réhabilitée par la création poétique. Texte-manifeste de défense et illustration de la « dialectalité ».
Andrea Zanzotto, Filò, la Veillée, Éditions Comp'act, 1995. Traduction de Philippe Di Meo.
Angèle Paoli
D.R. Texte angelepaoli
Imprécations à la reine
« Oci de bissa, de basilissa,
testa de fogo che’l giasso inpissa,
nu te preghemo : sbrega su fora,
ne te inploremo, tutto te inplora ;
mόstrite sora, vien su, vien su,
tiremo tutti insieme, ti e nu
aàh Venezia aàh Venissa aàh Venùsia
Occhi di biscia, di regina,
testa di fuoco che accende il ghiaccio,
noi ti preghiamo : erompi su, fuori,
noi t’imploriamo, tutto t’implora ;
mostrati sopra, sali, sali,
tiriamo tutti insieme, tu e noi
aàh Venezia aàh Venissa aàh Venùsia
« Yeux de couleuvre, de basilissa
tête de feu qui embrase la glace,
nous t’en prions : jaillis des flots, aller,
nous t’implorons, tout t’implore ;
montre-toi, élève-toi, élève-toi, toi et nous, tirons ensemble
aàh,Venise, aàh, Venissa, aàh, Venùsia »
Ci-après, trois clips sonores du film Casanova :
- aàh Venezia aàh Venissa aàh Venùsia
- La poupée automate
- Canto della Buranella. (Musique de Nino Rota. Copyright : C.A.M. S.r.l.\EUREKA s.a.s) [format RealPlayer]
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