José Corti, 2004.
D.R. Ph. angèlepaoli
AL DI LÀ DELLE NUVOLE
Cent vues de l'enclos des nuages d'André Ar Vot est un millefeuille, à lire et à goûter, feuille après feuille, touche par touche, du bout des doigts. Un feuilleté sur les nuages. Un nuancier qui entraîne le lecteur gourmet à travers les airs, strates et aires, stratosphères. À la rencontre des nuages, de leurs histoires et de celles qu’ils nous racontent. De leurs mystères. Aussi fugitifs et secrets que les formes impalpables qu’ils inventent pour que le poète invente à son tour toute une jonglerie de mots insolites et une rêverie des ciels pour tenter de percer leur magie volatile (et vibratile ?). Qui toujours recule et toujours échappe. Comme l’art. C’est d’ailleurs une réflexion de Picasso que le poète a choisi de mettre en exergue à son « avertissement » : « On ne fait pas de tableau, on fait des études, on n’en finit pas de s’approcher » (Propos sur l’art). Il en est de même des nuages, même si le poète, passé Maître en l’a-matière, s’ingénie à inventer, par antiphrase, un « Manuel des Nuages en 25 leçons ». D’ailleurs les « 25 leçons » sont dépassées, et pareillement les « Cent Vues » que lui inspirent les Cent Vues du Mont Fuji d’Hokusai.
Les variations sont à l’image des nuages : infinies ! Elles nous emportent du nuage « baleine blanche-Moby Dick » à la « Grotte flottante » de l’homo erectus de Tautavel, non sans happer au passage, de manière instinctive, les noms irrésistiblement proustiens de « Palamède et Verdurin ». Ailleurs, on glisse avec lui sur cette évidence : « Les nuages et les hirondelles sont des organes agiles, les particules d’un grand corps morcelé, un puzzle qui se reconstitue pour les vastes traversées. Toujours en mouvement, ni les uns ni les autres ne mettent pied à terre. » Et l’on croise en chemin une réflexion sur les « avatars » des nuages qui se changent en pluie ou en « ombres errantes » pour « communiquer avec nos propres sens ». Il y a toute une texture du nuage, une généalogie, une « galaxie médusée ». Certains figurent au « Salon des Refusés », d’autres s’installent dans la « Nature morte », façon Whistler. On côtoie les nostalgiques et les mondains, les insouciants et les belliqueux, les indolents, les tapageurs. Et même « les simples d’esprit », qui ont la préférence du poète. Car, dit celui-ci, « le royaume des cieux leur appartient. » Al di là delle nuvole. Par-delà les nuages…
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
EXTRAITS
« Le ciel est un palimpseste dont les nuages sont les écritures successives. Un vent les efface et remplace ce qu’un autre vent, d’un autre geste, avait transcrit.
Même chose que les pas de l’homme sur le sable, ce langage mélodique de notes suspendues, sinueux, composé de creux et de pleins, de talons évidés et d’orteils déliés, voués au silence et à l’effacement par le retour de la marée… Courtoisie du vent : il fait une pause et cesse de souffler le temps de la lecture et du déchiffrage. Puis il recommence à brouiller les superpositions, à entremêler les pistes. Il tricote de la profondeur. »
(p. 170)
« L’interface de l’étang, entre l’air et l’eau supporte une réduction historiée du ciel et de ses populations errantes. Elle flotte, cette image, portée par l’eau, comme la peau du lait à la surface de la casserole. L’air agite une hachure de rides, minuscules, entrecroisées. Ce serait enfin l’occasion inespérée d’utiliser l’adjectif « guilloché » pour la gaucherie duquel j’éprouve un certain penchant rarement partagé. Mais je résiste. Ce serait séduire à trop bon compte. Pendant ce temps la brise brouille les contours, embrume le reflet. L’occasion est passée. »
« Langagières nuées » (p. 161)
NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
Ancien professeur à l’université de Paris-VIII, spécialiste de Faulkner et de Scott Fitzgerald, dont il a publié une biographie aux éditions Julliard, André Le Vot, dit André Ar Vot, est un grand arpenteur du ciel. Son ouvrage, Cent vues de l’Enclos des nuages, publié chez José Corti, est un recueil de fragments dont le titre renvoie aux estampes d’Hokusai : les « Cent vues » sont inspirées par le mont Fuji. Grand amateur de peinture, André Ar Vot tire son inspiration à la fois de son imaginaire et des ses vagabondages poétiques. Certains fragments du recueil sont parus dans la revue Po&sie. Un nouvel ouvrage d'André Ar Vot, La Dérobée, a été publié en février 2005 par les éditions José Corti. André Le Vot est aussi l’auteur d’un essai sur Courbet : Au-delà de la Pastorale ou la tentation de saint Gustave, publié en 1999 chez l’Harmattan.
A titre d'illustration musicale, et en hommage à Pier Paolo Pasolini, la musique originale de Che cosa sono le nuvole ?, troisième épisode du film Capriccio all'italiana (1967). Interprétée par Domenico Modugno.
Source : YouTube.
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Savez-vous, chère Angèle Paoli, qu'il existe une véritable "nuée" de mots pour décrire les nuages ? Je vous donne ici un petit aperçu :
fibratus (fibreux), uncinus (en virgule), spissatus (dense, couvrant), castellanus (à tourelles), flocus (en petites balles ou flocons), nebulosus (en voile uniforme), lenticularis (en strates superposées), fractus (déchiqueté, en lambeaux), humilis (plat, en mie de pain ?), calvus (chauve, tête de cumulus perdant ses bourgeonnements), congestus (bourgeonnements, tours, chou-fleur), capilattus (sommet de cumulonimbus en chevelure ou panache), intortus (filaments enchevêtrés), vertebratus (en forme de colonne vertébrale), undulatus (en vagues, en rouleaux parallèles), radiatus (convergeant vers un même point par effet de perspective), lacunosus (lacunaire, trous), incus (enclume ou obus), mammatus (protubérances inférieures !), virga (traînée de précipitations ne touchant pas le sol), duplicatus (à des niveaux différents, superposés), perlucidus (qui présente des trouées de ciel bien marquées), velum (voile nuageux, pannus (structure nuageuse déchiquetée circulant sous un autre nuage.
d'après Axel Hermant, Traqueurs d'orage, Nathan, 2000.
Rédigé par : Florence Trocmé | 01 janvier 2005 à 16:54