Lecture analytique des Planches courbes d'Yves Bonnefoy.
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Ph, G.AdC
YVES BONNEFOY, LES PLANCHES COURBES
Divagations autour du titre du recueil
Le titre éponyme du recueil (Les Planches courbes, Mercure de France, 2001 ; Gallimard, Collection Poésie, premier dépôt légal en 2003) est un titre énigmatique qui prête à interrogation autant qu’à rêverie. Ce titre étrange recouvre un ensemble de sept recueils et emprunte au cinquième recueil son intitulé. Ce cinquième recueil occupe sans doute une place charnière dans l’œuvre, un « seuil » peut-être. À l’intérieur des Planches courbes se succèdent La Pluie d’été, La Voix lointaine, Dans le leurre des mots, La Maison natale, Les Planches courbes, L’Encore aveugle, Jeter des pierres.
Trois recueils forment à eux seuls un tout. Dans le Leurre des mots, La Maison natale, Les Planches courbes. Ce tout permet d’aborder l’œuvre poétique d’Yves Bonnefoy et d’en appréhender composantes et lignes de force. La poésie comme acte de présence au monde.
Un titre énigmatique
Avant même d’ouvrir le recueil, le lecteur s’interroge sur le titre et sur son sens : qu’appelle-t-on des « planches courbes » ? L’expression appartient-elle à un domaine spécifique ou est-elle une expression propre au poète ? Quel sens donner à ce titre ?
Le Grand Robert de la langue française fait l’impasse sur cette expression. De même que le Grand Larousse de la langue française et le TLFi.
Procédons autrement. Et décomposons l’expression. Le mot « planches » évoque la matérialité d’« une pièce de bois plane, plus longue que large » (Robert de la Langue française). Implicitement, le bois s’impose, comme matériau d’origine. L’adjectif « courbes » qui accompagne ici le nom évoque, lui, une forme. Une forme incurvée, en apparente contradiction avec l’idée même de planche, plutôt associée à l’idée de rigidité. Le lecteur peut en déduire que les « planches courbes » appartiennent au monde du poète.
S’agissant du titre d’un recueil de poésie, ce titre sans prétention surprend. Voilà le lecteur confronté à une première énigme, celle des mots. Peut-être alors lui faut-il se laisser guider dans le voyage poétique du poète, car Les Planches courbes sont une invitation au voyage. Un voyage au cœur du temps, un voyage au cœur des mots. Peut-être, alors, le grand enfant attentif trouvera-t-il, chez le passeur Yves Bonnefoy, des pistes de réponses.
Les réponses à l’énigme première existent. Elles sont nombreuses. Mais puisque l’expression des « Planches courbes » a donné son titre à un recueil dans le recueil, autant se diriger vers ce recueil. Il est question de « planches courbes » page 104. Elles servent d’appui à l’enfant à l’intérieur d’un esquif, d’une barque. Or la barque est présente dès le premier recueil de la trilogie (page 72). Avec elle se tisse tout le champ lexical de la proue, de la poupe (page 74), de la vague, de la rive, de l’île, de l’errance.... L’allusion à la forme des planches nous est donnée explicitement page 76 : « Les planches de l’avant de la barque, courbées… ».
Plus loin, page 87, le narrateur confie :
« Je suis couché au plus creux d’une barque,
Le front, les yeux contre ses planches courbes
Où j’écoute cogner le bas du fleuve… »
Et toujours, dans le même poème, la matière et d’autres matériaux nous sont donnés, associés à des odeurs : « le bois », « le goudron », « la colle » (page 87).
Les « planches courbes », en rapport étroit avec la barque, en sont la figure métonymique. La barque elle-même semble une variante de la maison natale ou encore du poème. Ce sont les lieux qu’habitent l’enfant ou l’aède. La barque est reliée au monde de l’enfance, de la mémoire, du sommeil. Elle est ce qui permet le passage d’un monde à un autre, de la vie à la mort, elle est ce qui permet de concilier les contraires - planches/courbes -, les inconciliables - le langage, ses leurres et la poésie. Elle est à relier à Ulysse, symbole de l’errance poétique ; et à Charon, le nautonier, auquel nul n’échappe, pas même le poète.
La barque de l’enfance est aussi ce qui s’oppose au navire encombré et aveugle des adultes :
« Nous sommes des navires lourds de nous-mêmes
Débordants de choses fermées » (page 72).
Polysémique, la barque est cet abri dans lequel se love l’enfant pour se mettre à l’affût du monde. Elle est le berceau des mots du poète.
Dans le leurre des mots
D’un rivage à l’autre de la vie, entre sommeil et éveil, se glisse la poésie. « Mensonge », « illusion » ou « leurre » pour la plupart des hommes, la poésie est, pour l’aède de ces chants, le seul mot qui résiste au temps et aux « désastres ».
Le titre du recueil, Dans le leurre des mots, fait écho au titre d’un recueil antérieur : Dans le leurre du seuil (Mercure de France, 1975). Ainsi, d’un recueil à l’autre de l’œuvre poétique d’Yves Bonnefoy, se tisse une partition polyphonique. Dans laquelle des mots se répondent en écho. Ainsi du mot « leurre », mot qui est récurrent chez le poète.
Terme emprunté à la fauconnerie, le mot « leurre » renvoie à l’idée de piège, de mensonge, d’illusion. Mais aussi d’attirance. Attirance pour la beauté, pour la magie d’Armide et de son jardin, pour le langage. Et si l'on s’amuse à établir un parallèle entre ces deux titres, il est possible d’imaginer que « seuils » et « mots » sont très proches, ont les mêmes pouvoirs. Qu’ils sont interchangeables. Le « seuil » n’appartient-il pas au champ lexical du passage, tout comme la barque ? Cette passeuse de rêves et de souvenirs. Qui conduit son passager vers la sombre rive de la mort. Ou comme le monde du langage ? L’univers des mots n’est-il pas, comme l’univers des rêves et des souvenirs, semblable au « jardin d’Armide », un univers du « leurre » ?
« Partout en nous rien que l’humble mensonge
Des mots qui nous offrent plus que ce qui est
Ou disent autre chose que ce qui est… » (page 73)
Dès lors, la question qui se pose est de savoir comment dépasser le « leurre » ? Comment concilier le langage, avec ses limites, et la poésie. Comment faire pour que le langage devienne poésie ?
La Poésie est au cœur des Planches courbes. Le recueil des Planches courbes interroge le langage et, au-delà, est une interrogation sur la poésie. D’autres questions se posent. En voici quelques-unes :
• Quel est le statut de l’œuvre intitulée Les Planches courbes ?
• Les différents recueils ont-ils le même statut ?
• Dans quelle mesure peut-on parler d’œuvre autobiographique ?
• Quelle est la valeur des référents culturels ?
• La musicalité de l’œuvre.
• Comment passe-t-on d’un seuil à un autre ?
LA STRUCTURE DE L'ŒUVRE (Triptyque Dans le leurre des mots, La Maison natale, Les Planches courbes)
Le passage des seuils
Comment, dans Les Planches courbes, passe-t-on d’un recueil poétique à l’autre, d’une laisse à l’autre, d’un seuil à un autre ? Le plus simple est d’interroger la structure de l’œuvre, sa composition.
L’ensemble de ces trois recueils forme un tout. Un triptyque agencé autour d’un panneau central plus développé, celui de La Maison natale. La Maison natale est consacrée à l’émergence des souvenirs d’enfance, ancrés dans le lieu des origines, autour des figures de la mère et du père. D’Isis et de Cérès.
Construit en deux temps, Dans le leurre des mots constitue une ouverture. Ouverture poétique dans laquelle s’élabore, au fil des laisses, ce qui semble être un art poétique, à la fois autorisation à l’écriture et hymne à la poésie.
Intitulé Les Planches courbes, le dernier volet du triptyque clôt le recueil sur le récit en prose, mystérieux et onirique de l’enfant et du passeur. Épisode de rédemption poétique qui s’assume entièrement puisqu’il donne son titre à l’œuvre entière.
Un voyage initiatique à rebours
Le recueil des Planches courbes peut se lire comme un voyage initiatique à rebours. Pareil à Ulysse, figure de l’errance, le poète accomplit un voyage au rebours de lui-même. Un voyage au cœur du monde des souvenirs liés à l’enfance. Au seuil des mots-passeurs qui vont donner au poète la clé d’ouverture à l’écriture de son chant poétique. Un dernier voyage avant de se résigner à prendre congé.
DANS LE LEURRE DES MOTS
Recueil d’ouverture des Planches Courbes, Dans le leurre des mots est composé de deux volets. Respectivement de neuf laisses et de huit laisses. D’inégale longueur. La forme choisie pour l’ensemble de ce recueil est le vers libre. La musicalité du poème semble s’être déplacée de la rime vers un ailleurs dont il faut se mettre à l’écoute. Pour en saisir les échos et les multiples résonances.
PREMIER VOLET
1. Ancrages
Dès le premier vers, des voix surgissent, à qui il est fait appel. Jusqu’au vers de clôture où une voix finalement « se perd ». Un voyage se déroule depuis les voix plurielles du début du poème « nos voix », jusqu’à la voix singulière de l’ultime strophe. Un voyage en deux temps, qui s’articule autour du sommeil, vecteur du rêve et des images. « Le sommeil d’été cette année encore » (v. 1) qui féconde la venue à l’écriture. Puis le sommeil final qui n’est « plus rien qu’une vague qui se rabat sur le désir ».
Au seuil du voyage poétique se fait la demande. Venu « du fond de nos voix », il y a l’appel à la poésie. Un appel « simple » aux « choses proches ». Sans prétention alchimique autre que la « transmutation des métaux du rêve » en « or ». Alors, silencieuse, invisible, la poésie met en place un espace-temps où ancrer les images. Celle de la montagne et de sa « grappe », celle du « feu léger », celle de la « fumée » et « du fleuve ». Le temps est le temps étal de « la nuit d’été, qui n’a pas de rives ». Il est aussi le temps du retour: « le sommeil d’été, cette année encore ». La poésie est recommencement. Elle s’installe dans la rondeur féminine de l’été, elle accueille « la grappe des montagnes » et « le sein » de la terre. Sensible à la répétition - « de branche en branche » -, elle l’est aussi au balancement : « c’est là nouveau ciel, nouvelle terre ». Elle est propice à la « rencontre » du même et de l’autre : « une fumée rencontre une fumée ». Elle procède à l’union rimbaldienne* qui se joue « au-dessus de la disjonction des deux bras du fleuve ». Elle est prête à accueillir le retour d’Ulysse dans la mémoire du poète.
* Comment ne pas penser aux vers du poème « Aube » (Illuminations, 1873), d’Arthur Rimbaud : « J’ai embrassé l’aube d’été » ?
DANS LE LEURRE DES MOTS
PREMIER VOLET
2. Le retour d’Ulysse
Ulysse entre en scène dans la seconde laisse du poème. Il est également présent dans la laisse suivante.
Figure de proue de l’Odyssée (poème d’Homère), Ulysse surgit dans l’espace mental du poète en même temps que se fait entendre à nouveau le chant du rossignol.
« Et le rossignol chante encore une fois »… « Il a chanté quand s’endormait Ulysse. »
Le chant du rossignol, au seuil du rêve et du sommeil, est le signal de l’irruption du navigateur dans l’univers poétique du narrateur-poète. Et des images qui sont liées à son histoire. L’île, l’étoile, la barque, la rame, l’écume, la mer. Mais aussi, au sommeil d’Ulysse, à ses rêves, à ses désirs et à ses abandons, à ses renoncements et à son oubli. Le chant triste du rossignol est signe du départ prochain d’Ulysse. Et sa disparition dans l’ensemble du recueil. Ulysse disparaît, mais le poète lui continue son périple. Le rossignol, symbole chez les anciens (Ovide, Métamorphoses, VI) de l’inspiration poétique, lui a ouvert la voix/voie !
Figure de l’errance, des escales, des départs, Ulysse est soumis à la volonté de Vénus. C’est elle, « la première étoile », qui guide le héros, le rappelant sans cesse à son devoir. C’est elle qui se tient à la « proue » de la barque, l’entraînant vers « le haut de la mer ». C’est elle qui le tire de ses rêves et l’oblige à reprendre la rame. Pourtant, consentant à l’abandon, au sommeil et aux rêves, désireux d’ouvrir « les yeux à d’autres lumières », Ulysse risquait d’oublier « de replonger sa rame dans la nuit ». Mais, jalouse peut-être, Vénus veille à ce que le navigateur ne s’abandonne pas trop longtemps « sur la couche de son plaisir ». Il lui faut se souvenir. Se souvenir d’Ithaque.
La présence d’Ulysse se prolonge dans la troisième laisse. Par deux interrogations d’abord, puis par un retour au récit initial du chant deux - avec la reprise du thème du rossignol. Ulysse est au cœur de l’interrogation du poète :
« Et par la grâce de ce songe que vit-il ? » « Fut-ce la ligne basse d’un rivage… ? »
Il est aussi le noeud d’une opposition qui le met en scène face aux hommes d’aujourd’hui.
La longue interrogation, portée par le conditionnel « seraient », semble investie par les désirs des hommes. Désirs qui sont aussi ceux du poète : « nos demandes » ; « notre avancée ». « Désirs d’autres feux que ceux qui brûlent dans les brumes de nos demandes. »
Désir de « la ligne basse d’un rivage », promesse de clarté, au cœur même des « ombres » et de la « nuit ». Étrange paradoxe que celui qui se dit là. Exacte symétrie du célèbre oxymore de Corneille: « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles » (Le Cid). Peut-être Ulysse, investi des rêves du poète, préfigure-t-il le poète à venir ?
Pourtant, les désirs imaginés ne se sont pas réalisés, et le poète, qui se reconnaît dans Ulysse, affirme aussi sa différence – la sienne et celle des hommes - d’avec Ulysse. Clos sur « nos » certitudes, fermés au langage de l’inconscient, « notre avancée dans le sommeil » reste infructueuse car « nous sommes des navires lourds de nous-mêmes… ». Spectateurs passifs, « nous regardons… toute une eau noire ». Promesse d’un espoir, à peine entrevue, aussitôt refusée.
« Lui, cependant », Ulysse, songe « à reprendre sa rame ». Et « reprendre sa rame », n’est-ce pas renoncer à l’oubli que lui procure « l’île de hasard » ? L’île qui efface - pour un temps - de sa mémoire le souvenir de sa vie antérieure. Contraint par Vénus de renouer avec son errance, il ne connaît pas de répit. Mais le retour à l’errance est aussi promesse d’oubli de ce qu’il vient de vivre d’île en île, et promesse aussi de retour à Ithaque. L’île rêvée, pareille à une « étoile » qui grandit sur la mer. Ardemment désirée, sans cesse différée, repoussée, Ithaque est finalement rejointe. Peut-être au seuil des renoncements, au seuil de la vieillesse et de la mort.
DANS LE LEURRE DES MOTS
PREMIER VOLET
3. L’impossible oubli
Pareil à Ulysse, le poète est confronté à l’impossible oubli. Les souvenirs sont là, qui contraignent à l’errance de la mémoire. « Avec le même orient ». Une errance complexe, à visage de Janus bifrons*, qui combine à la fois le retour sur le passé et la marche vers la mort. Une errance qui prend corps dans l’écriture et se nourrit de l’« humble mensonge des mots ». Ainsi, par trois fois, le poète s’interroge-t-il sur la nécessité d’aller. Placé en tête de vers, l’infinitif anaphorique martèle la laisse comme la rame martèle la vague de son rythme régulier. « Aller ainsi, au-delà des images ». « Aller confiants, nous perdre nous reconnaître ».
« Aller, par au-delà presque le langage ». « Aller au-delà », ou « par-delà », n’est-ce pas accepter de dépasser ses peurs, accepter la traversée des « souvenirs », « beauté » et « mensonge », « affres » ou « bonheur » ? Accepter de raviver les « cendres » et ce qui reste encore peut-être de « fièvre » et de « feu »! N’est-ce pas accepter de recevoir la « nuée rouge » et le « délice des fruits que l’on n’a plus » ? Mais n’est-ce pas aussi refuser de renoncer à s’interroger sur le vrai et le faux, sur la part d’illusion qui modèle « la forme dans les ombres qui se resserrent »? Le poète-narrateur continue d’avancer, en tâtonnant, en s’égarant. Et s’il accepte de se perdre de vue, c’est pour se mieux retrouver ensuite. Dans la confrontation avec la mort qui se rapproche, « masse d’eau qui de nuit en nuit dévale avec grand bruit dans notre avenir. »
4. L’avancée dans le rêve
Associé à l’eau et au mouvement, le rêve est élément liquide et, comme lui, assujetti à des données fluctuantes, insaisissables. Pris entre « éveil » et « sommeil », le poète en accueille les hésitations, les limites incertaines : « on ne sait si c’est de l’éveil ou, si la foudre lente… ». Il entre confiant dans le rêve. « Nous mettons nos pieds dans l’eau du rêve... ». Un itinéraire se dessine, une marche : « Nous avançons ». Le rêve s’enfle, se gonfle d’eaux montantes et « monte à nos chevilles ». La progression du rêve passe par le corps : « nos pieds nus », « nos pas », « nos chevilles ». Le rêve devient corps lui-même, personnifié dans son invocation : « Ô rêve de la nuit, prends celui du jour dans tes mains aimantes ». De même du rêve diurne qui livre son visage: « son front, ses yeux », « son regard ».
Le rêve combine les contraires, l’eau et la foudre, l’écume et les branches des arbres. Arbres qui s’animent et s’écartent, livrant passage au dormeur. Peut-être celui-ci est-il hanté à son tour par les arbres de la forêt de Birnam** ? Touffu d’abord, inquiétant, le rêve, chargé d’images sombres, est soumis à l’agitation. Le tracé de ses signes ne se déchiffre pas aisément. Jusqu’au moment où le poète, s’adressant dans une interjection lyrique au « rêve de la nuit » - « Ô rêve de la nuit » - lui demande d’accueillir, dans sa sagesse, le rêve diurne, déchiré par « la querelle du monde » et de le faire sien. La demande du poète va dans le sens de l’unification, de la pacification (« la quiétude de l’écume »), du fusionnel, qui s’accomplit dans le désir du même : « les mêmes étoiles qui s’accroissent dans le sommeil ». Afin que puissent advenir, liées ensemble, « la beauté et la vérité ». « Soit beauté, à nouveau, soit vérité… »
*Janus bifrons : l’un des plus anciens dieux du panthéon romain. Il est représenté comme pourvu de deux visages, l’un regardant derrière lui, l’autre devant lui. Il est présent dans l’étymologie du nom du mois de janvier.
**La forêt de Birnam : Shakespeare, Macbeth. Les sorcières prédisent à Macbeth qu’il ne sera pas vaincu « tant que la forêt de Birnam ne marchera pas vers Dunsinane. »
DANS LE LEURRE DES MOTS
PREMIER VOLET
5. Les trois acteurs du rêve
Une fois restaurée la « beauté ultime des étoiles sans signifiance, sans mouvement », les acteurs essentiels du rêve peuvent surgir. Le « nautonier » et sa barque d’abord, l’enfant ensuite. Et enfin « le vendangeur ».
« Plus grand que le monde », à la fois noir et lumineux, le nautonier appartient au monde silencieux et immobile des morts. Un monde incertain et flou, comme celui du rêve, qui échappe aux définitions claires : trois fois l’expression « on ne sait si » est répétée au cours de cette strophe. Deux fois pour évoquer la « terre », incertaine, elle aussi. Identité ou nouveauté : « rive nouvelle », « autre terre » ou au contraire « même monde » ? Une troisième fois pour évoquer la vie dans ce monde : « on ne sait si des mains ne se tendent pas du sein de l’inconnu… ». Dans le monde des morts comme dans celui du rêve, les données parfois s’inversent jusqu’à brouiller les pistes du sens. Ainsi la strophe six se ferme-t-elle sur une énigme, celle des mains qui peut-être « se tendent … pour prendre la corde que nous jetons, de notre nuit. »
Le temps poursuit sa route vers le lever du jour, à la septième strophe : « Et demain, à l’éveil ». Mais les incertitudes oniriques du poète demeurent et il doute de la capacité du monde à se construire « sans guerre, sans reproche ». Il poursuit pourtant ses interrogations à la recherche d’un espoir. « Peut-être que nos vies seront plus confiantes. »
C’est au cœur de cette perplexité que surgit la figure réconfortante de l’enfant. Familier et énigmatique, porteur de connotations positives, l’enfant est acte de présence au monde.
La strophe suivante lui est encore consacrée. L’enfant a conservé le rire qui le caractérisait : « Il sait encore rire. » Dans son insouciance ludique, il s’est changé en chapardeur d’« une grappe trop lourde ». Mais nul ne le punira de son larcin, pas même le vendangeur « sans visage », celui pourtant qui veille sur l’existence des hommes et « peut-être cueille/D’autres grappes là-haut dans l’avenir ». Auréolé de lumière, de rire et d’espièglerie, l’enfant, inconscient des dangers et de la mort, est porteur d’espérance d’un monde nouveau. Par son ancrage dans la vie, il apaise les angoisses des hommes. Il les réconcilie.
Le poète clôt cette étrange scène onirique par deux injonctions positives. La première concerne l’enfant : « confions-le à la bienveillance du soir d’été ». L’autre s’adresse à lui-même : « Endormons-nous… ». Parvenu à ce seuil onirique, le poète accueille l’enfant qui est en lui. L’enfant et lui ne font plus qu’un. Le langage poétique peut alors advenir.
6. De la fragilité de la voix
Pourtant, alors même que les conditions semblent réunies pour donner au langage la possibilité de se métamorphoser en poésie, l’inspiration semble se dérober : « La voix que j’écoute se perd... ». Cette voix unique, inscrite dans le corps, qui relie le poète au monde et à lui-même, seule capable d’abolir l’écart entre le mot et la chose, cette voix est noyée soudain par « le bruit de fond qui est dans la nuit ». Et « les planches de l’avant de la barque », celles contre lesquelles se tenait jadis l’enfant, à l’écoute du fleuve, « se desserrent ». La courbure des planches ne peut jouer son rôle de matrice. Le poète a beau tenter de déchiffrer les messages que la barque lui envoie, le sommeil est indifférent à ses efforts. Il ne laisse rien passer des secrets dont le poète a besoin. « Les pensées ajointées par l’espérance » restent en suspens. Il manque la voix. Dispensatrice de commencement, la voix poétique, éphémère et fragile, est momentanément perdue. L’image fondatrice des « planches courbes » est inopérante. Il ne reste rien d’autre au poète « qu’une/Vague qui se rabat sur le désir ».
Ainsi se ferme ce premier volet des Planches courbes. Au terme de son périple onirique, le poète est contraint de faire le constat de l’impasse dans laquelle il se trouve. Constat très pessimiste d’une impossibilité. L’impossibilité pour le poète de poursuivre sa quête poétique.
VOCABULAIRE PORTATIF
• Leurre : Issu du francique (langue d’origine germanique) le mot « leurre » apparaît dès 1202 sous la forme « loire ». Il appartient à cette époque au vocabulaire de la fauconnerie (1225). Le leurre désigne un morceau de cuir rouge, en forme d’oiseau garni de plumes, utilisé pour faire revenir l’oiseau de chasse sur le poing du fauconnier.
Synonymes : appât, appeau.
Vers 1580, le mot prend le sens d’« artifice » et désigne ce qui sert à attirer, à tromper.
Par analogie de fonction, il désigne une amorce munie de plusieurs hameçons (1769).
Source : Le Robert, Dictionnaire historique de la Langue française.
• Laisse : Ce terme désigne, dans la littérature médiévale, un ensemble de vers construits sur des assonances.
Ex : les laisses de la Chanson de Roland.
Aujourd’hui, le terme désigne, dans les textes en vers libres, une strophe de plus de treize vers (avec ou sans assonances).
DANS LE LEURRE DES MOTS
DEUXIÈME VOLET
1. Le risque du « je »
Alors que le premier volet du recueil vient de se fermer sur l’image brutale de la « Vague qui se rabat sur le désir », le second volet s’ouvre sur l’éventualité d’un « réveil brusque ». Une continuité implicite est ainsi établie entre le monde onirique du premier poème et celui du second.
Pourtant la tonalité de ce second recueil est autre et d’emblée se perçoivent des différences. Composé d’une alternance de laisses et de strophes (huit en tout), le second volet du recueil est le lieu où se déclare l’art poétique du poète. À la fois hymne à la poésie et défiance à l’égard de la poésie, l’ensemble oscille sans cesse dans un mouvement de balancier qui oppose positif et négatif.
Par deux fois en effet se remarque de manière visuelle la présence d’une interjection lyrique adressée à la poésie : « Ô poésie ». Cette interjection ouvre les strophes 3 et 5. Au coeur des préoccupations du poète, la poésie est une interlocutrice directe. À qui adresser ses espoirs mais aussi ses interrogations et ses doutes.
Autre particularité de cet ensemble, l’omniprésence du « Je » et de la première personne du singulier. « Je pourrais » (2 fois) ; « Je sais » (4 fois) ; « Je ne puis » ; « Je prends » ; « Je le fais » ; « Il me semble » ; « m’écrier » ; « m’empêcher ». Jusqu’alors inclus dans un « nous » qui l’unissait aux autres hommes, le poète se détache ici en tant que « je » pour prendre en charge progressivement son rapport à la poésie. Le « je » se « risque » dans l’écriture. Le poète aborde la poésie de manière détournée dans un premier temps, par une sorte de prétérition, en usant du conditionnel : « Je pourrais… dire ou tenter de dire » ; « Je pourrais m’écrier… ». Par deux fois, le poète définit la poésie en négatif. Il dit ce qu’il ne dira pas, ce qu’il ne veut pas dire, ce que peut-être il ne peut parvenir à dire. Il n’écrira pas une poésie de la violence, du « tumulte des griffes et des rires qui se heurtent », de la dislocation du langage, une poésie de la dénonciation de la barbarie du monde, de ses injustices. Non qu’il ne soit, lui aussi, comme homme et comme poète, au cœur de la tourmente. Mais s’il est conscient des tragédies qui déchirent le monde, le poète est aussi conscient des limites du langage, des impasses et des leurres dans lesquels celui-ci entraîne.
2. La « chimère retorse »
Peut-être la poésie n’est-elle alors qu’une chimère, trompeuse et « retorse », comme celle qui, « aux branches du jardin d’Armide », trompe et détourne de leur route les croisés Charles et Ubald, retenus dans les lacs de la belle magicienne par sa beauté extérieure et par ses propos enchanteurs.
Par cette référence au poète italien Torquato Tasso* et au chant XVI de La Jérusalem libérée, Yves Bonnefoy tente d’exprimer une double défiance : celle qu’il éprouve envers les leurres du monde imaginaire et celle qu’il éprouve à l’égard de la poésie dont les leurres peuvent induire la raison en erreur : « La chimère qui leurre autant la raison que le rêve ». Se refusant à une vision restrictive du langage poétique et à « n’être que la lucidité qui désespère », le poète est sur le point d’« Abandonner les mots à qui rature, prose, par évidence de la matière... ». Parvenu au seuil du désespoir, il est à nouveau sur le point de renoncer à l’écriture poétique.
* La référence aux jardins d’Armide et à la chimère qui habite les branches des arbres est empruntée au chant XVI, stances 13 et 14 de La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso (1544-1595) (dit Le Tasse, en français).
Armide est une magicienne. Elle vit dans son palais entouré de jardins enchanteurs. Elle retient sur son île de l’Atlantique (Îles Fortunées), au-delà des Colonnes d’Hercule, le chevalier Renaud qui s’est laissé prendre par ses sortilèges.
La chimère, à l’origine animal fabuleux, est dans le poème du Tasse, un « monstre admirable », un oiseau aux « plumes peintes/De diverses couleurs » et au « bec pourpre ». Et qui « si bien lance langue et forme voix/Que l’on dirait qu’il a parole humaine ». Dans la stance 14, l’oiseau chante. Il tient des propos séduisants qui ensorcèlent le chevalier.
DANS LE LEURRE DES MOTS
DEUXIÈME VOLET
3. La promesse
Pourtant, une fois de plus, le poète se reprend à espérer dans la poésie qui puise « sa beauté dans la vérité ». Le « Mais » de la strophe suivante introduit une opposition. Le poète tente une ébauche positive de la poésie, une réhabilitation des mots qui passe par le corps - de « la voix qui espère » à « la main qui touche la promesse d’une autre ». Car seule la poésie peut donner sens au monde, elle est seule capable de se frayer une voie pour aller vers l’autre. Ce mouvement vers l’autre se fait par le choix exclusif du réel. Répété trois fois sur cinq vers, l’adjectif « réel » est mis en relief à l’intérieur d’un long parallélisme où il apparaît deux fois accompagné de l’adjectif « seul ». « Réelle …la voix », « Réel, seul, le frémissement de la main… », « réelles, seules, ces barrières qu’on pousse dans la pénombre… ». La poésie passe par le retour aux choses simples, pourvoyeuses de sens. Le poète sait comment faire émerger le seul mot qui pour lui fait sens, le mot « poésie ».
4. Prendre le risque
Faire émerger la poésie, c’est laisser au désir la possibilité de brûler. « Un mot pourtant reste à brûler mes lèvres. »
Désir irrépressible que celui de faire advenir la poésie en la nommant: « Je ne puis m’empêcher de te nommer/Par ton nom ». De s’adresser à elle, comme aux temps anciens où elle était honorée de « guirlandes de feuilles et de fruits », objet de culte et de gloire. Une façon pour le poète d’affirmer de manière claire et énergique sa position, dans la proximité du tutoiement : « Je prends le risque de m’adresser à toi, directement. » Ainsi, pour Yves Bonnefoy, être poète, c’est prendre des risques. C’est prendre le risque de tenir un langage différent de celui, anonyme des « on », qui dénigrent la poésie et lui tournent le dos : « on te méprise », on « te dénie », « on t’estime un théâtre », « on t’accable ». Risque d’autant plus grand que le nom de la poésie n’est plus aimé et que, la nommer, c’est la faire exister parmi les « ruines de la parole. »
5. « De la musique avant toute chose. »
Pourtant, dans la strophe suivante, le poète réitère à nouveau la confiance qu’il a dans la poésie. Confiance dans la mémoire des « mots simples » et dans son « nom un et multiple ». Mais aussi dans ceux qui, comme lui, dépassant « leurs doutes et leurs peurs », s’en font les intercesseurs, « ceux qui cherchent/À faire être le sens malgré l’énigme ». Ou qui s’attacheront à s’en faire les interprètes, capables de « déchiffrer » son nom. Le poète donne alors la parole à la poésie. S’adressant aux hommes, elle les enjoint à mettre leurs sens en éveil : « Regardez », « voyez », « écoutez ». Dans le discours qu’elle leur adresse, elle se définit comme le seul langage capable de les unir à travers des siècles, la seule à être capable de changer le monde, de faire « croître les signes dans les images » et de « bleuir les montagnes. » Et cela, pour le bien des hommes : « pour vous être une terre. » La poésie affirme ici, dans le dialogue qu’elle entretient avec le poète, son rôle fondateur. Qui se poursuit dans le lien que la poésie établit avec la musique. Car, au-delà des signes contenus dans les images, il y a la musique. Dispensatrice de sens, la musique joue un rôle essentiel dans l’art poétique de Bonnefoy. Assimilée à une « flûte savante », la musique conduit à la lumière, elle « élucide » les alchimies secrètes contenues « dans ce qui est », les alliances invisibles son/couleur.
Or, à l’étape suivante, surgissent à nouveau le doute et le désespoir. Une tempête sème le désordre sur des vers qui s’allongent et s’enflent eux aussi, comme les « mots ». Les éléments se déchaînent, « vents » et « feux » sur les pages ; images et syntaxe se désorganisent, réduites bientôt à néant. La poésie, devenue incapable de dire le « grand corps chaleureux du monde », de relier entre eux les hommes par le livre, se dérobe, emportant, dans son incapacité à donner sens aux choses, jusqu’à notre « désir ».
DANS LE LEURRE DES MOTS
DEUXIÈME VOLET
6. La poésie, entre désespoir et espérance
Les deux dernières strophes marquent la dernière étape de ce recueil. Le poète effectue un dernier revirement en faveur de la poésie et de son avènement. À nouveau s’exprime la confiance affirmée - « Je sais tout autant » - en la poésie définie par la métaphore exclusive de l’étoile : « il n’est d’autre étoile à bouger ». Associée à l’image de la barque, la métaphore de l’étoile est signe de vérité première, de commencement. Ce que marque l’adverbe « inauguralement ». La poésie inaugure la venue des images liées à l’enfance, elle se charge progressivement de l’imaginaire mythologique lié à l’enfance - « les ombres /Se groupant à l’avant » -, « le long voyage », « les arrivants », « le phare » qui grandit et qui brille… Riche de mystères et de contradictions, l’étoile permet la symbiose du ciel et de l’écume. Et « Dans le ciel illusoire des astres fixes », l’étoile est seule à « bouger ». La poésie est ce qui reste d’espoir et de vie au monde, de présence au monde.
Le second volet du recueil se clôt sur une strophe optimiste dans laquelle le poète réaffirme sa confiance dans la poésie : « Je sais que tu seras ». Le poète énumère les images porteuses de sens, « l’ancre », « le bois », « l’étincelle », « la première parole », « le premier feu ». Fidèle, solide, présente, la poésie apaise, rassure, rassemble. Elle renoue avec la parole et fait renaître le désir. « Je sais que tu seras/Le premier feu à prendre au bas du monde mort. »
Soumise aux affres du doute, exposée à la déconstruction du langage et à la perte de sens, la poésie a le pouvoir de rebondir sans cesse. Peut-être la poésie a-t-elle besoin de ces phases de recul et de destruction pour, tel le Phénix, renaître de ses cendres et se faire à nouveau réconciliatrice des hommes et médiatrice entre les hommes et le monde ?
LA MAISON NATALE
APPROCHE
Le premier recueil des Planches courbes se ferme sur les deux vers qui réaffirment la confiance du poète dans la poésie : « La première parole » peut advenir, « Le premier feu » peut prendre. Dès lors, « la maison natale » apparaît, qui surgit au sortir du rêve et transcendée par lui. Vrai lieu, « la maison natale » est le lieu des origines. Lieu fondateur de l’imaginaire émotionnel de l’enfant, elle est aussi le lieu-creuset de la poésie.
Composée de douze laisses, La Maison natale confère à l’ensemble du recueil son unité. C’est à partir de ce lieu, autour de lui et des variations dont il fait l’objet, que s’organise l’itinéraire poétique du narrateur. Dès lors, il suffit de franchir le seuil et de suivre l’enfant dans ses déambulations oniriques.
1. Itinérance dans La Maison natale
Au moment où s’ouvre le recueil de La Maison natale, le poète se trouve sur cette lisière spatio-temporelle indécise, indéfinissable, cet entre-deux qui suit le rêve et précède immédiatement la phase de l’éveil. Des éléments de rêve subsistent, avec leurs formes floues, irréelles qui s’immiscent dans les souvenirs. Le recueil suit la forme d’un cheminement fait de rencontres, et se présente comme un itinéraire initiatique à rebours. Qui s’inscrit, avec ses constantes et ses réseaux de variations, dans le passé de l’enfance.
Ainsi, par trois fois, le poème s’ouvre sur le leitmotiv fondateur: « Je m’éveillai, c’était la maison natale » (I, II, III). Diverses figures apparaissent alors, dont celle, essentielle, de Cérès.
En VI, le récit commence par la même formule « Je m’éveillai », mais est proposée une variante qui marque une opposition avec les poèmes précédents et évoque un déplacement d’un lieu à un autre : « mais c’était en voyage ».
Les poèmes IV et V semblent former un diptyque. L’expression : « Dans le même rêve » marque en effet une continuité entre IV et V, et suggère le recommencement du même rêve. Le poème IV s’ouvre sur une variation temporelle : « Une autre fois ». Et le V, qui commence par la conjonction « Or », indique la volonté de construire un raisonnement. Peut-être pour tenter d’établir un lien logique entre les deux moments du même récit de rêve.
Le poème VII s’ancre dans le souvenir « Je me souviens ». La figure centrale de cet épisode est celle du père. C’est aussi dans cet épisode que se trouve la première longue parenthèse de ce recueil, qui enserre la scène du jeu de cartes.
Le poème VIII, plus bref, introduit une contradiction. L’intrusion du présent marque une rupture dans le récit et l’expression « J’ouvre les yeux » signale la fin du sommeil. Pourtant la seconde partie du vers affirme que le lieu dans lequel se trouve le narrateur est celui de l’enfance : « C’est bien la maison natale ». Les figures évoquées ici sont celles des « parents ».
Le poème IX marque l’irruption dans le récit d’un élément nouveau : « Et alors un jour vint ». Le poème est centré autour de la mère, rattachée à la figure biblique de Ruth.
Le poème X marque un saut dans le temps, résumé par l’expression nominale, très condensée, « La vie, alors ». Cette ellipse temporelle est suivie de la présentation de la maison natale, à la fois même (à nouveau/maison natale) et autre. Le déterminant indéfini « une » s’est substitué au défini « la ». Constitué de deux parties, le poème X se caractérise par la présence d’une nouvelle parenthèse, dans laquelle s’insère l’évocation de la mort.
Le poème XI s’articule en deux temps, tous deux au présent de l’indicatif : « Et je repars »/« Et je vois ». L’approche de la mort se fait sentir à travers le réseau d’images que draine le « navire ».
Le dernier poème, le poème XII, le plus mystérieux, apporte des éléments de réponse à l’énigme de la poésie de Bonnefoy : « Je comprends ». Il se clôt sur la réhabilitation de Cérès.
La maison natale, lieu des origines, de l’enfance convoitée et inaccessible, est ce lieu auquel rêves et souvenirs ramènent sans cesse le poète. C’est le lieu où s’ancrent les images génératrices de sens. Lieu fluctuant auquel le poète retourne tout en continuant sa quête de présence au monde. Sa quête de la poésie et du sens.
2. Petite fantaisie allégorique
La parenthèse du poème VII, qui insère l’étrange scène de la partie de cartes jouée entre le père et l’enfant, n’est pas sans évoquer les célèbres Tarots de Milan et de Ferrare. Apparus dès 1425, à la fois jeux de société et méthodes de divination, les tarots étaient très en faveur dans les cours princières des Este, des Visconti et des Sforza. Tarots dont le poète Torquato Tasso, qui en connaissait les subtils arcanes (Trionfi), s’est inspiré dans La Jérusalem libérée. Peut-être Yves Bonnefoy, sensible à la fonction symbolique et « magique » de ces images, a-t-il disséminé dans Les Planches courbes le souvenir de ces mystérieuses figures ?
Le recueil de La Maison natale serait alors un ensemble crypté à la manière d’un jeu de cartes structuré en douze arcanes. Chaque arcane proposant un grand nombre de figures (situations, personnages, objets, vertus).
Les cartes numérotées I à V renvoient à « La Maison natale » onirique. Elles s’organisent autour d’une image centrale :
• « La sans-visage » (I)
• « La déesse » (II)
• « Cérès » (III)
• L’enfant charpentier (IV)
• « Les planches courbes » (V)
Les cartes numérotées de VII à IX, renvoient à « La Maison natale » de la ville. C’est la maison de Tours. Surgissent avec elles les figures du père et de la mère, ou des deux parents ensemble :
• Le père (VII)
• Les parents (VIII)
• La mère (IX)
Entre les deux maisons se trouve une carte unique, la VI. C’est la carte du voyage en train, de la distance qui sépare la ville de Tours de la région aimée où règnent « le feu des vignerons » et « les montagnes basses ». Ce sont les retrouvailles avec la terre maternelle, c’est Toirac retrouvé.
• « La flamme rouge » (VI)
En X surgit une autre maison natale, à la fois lieu du bonheur. Période heureuse de la vie du poète contrebalancée par le surgissement des images de la mort.
• « Les étés »
• « Les tuiles chaudes »
• « Le blé »
Les deux derniers poèmes, éloignés de la maison natale, en rupture avec elle, sont marqués par l’errance et par les images d’angoisse et de mort (XI) et par la réhabilitation de Cérès (XII) :
• Cérès réhabilitée.
LA MAISON NATALE
PREMIER POÈME
1. Une arche de Noé sans vie
La première « maison natale », celle qui voit le premier réveil du narrateur, se trouve sur un récif battu par les vagues : « C’était la maison natale, l’écume s’abattait sur le rocher. » Peut-être est-elle sise sur une île, avec « l’odeur de l’horizon de toutes parts » ? Engloutie qu’elle est sous la cendre, elle semble morte, « Pas un oiseau ».
Soumise à la fureur des éléments, elle est la proie de la vague et du vent, du « feu qui ailleurs consumait un univers ». Arche de Noé sans vie, la maison natale semble appartenir aux temps bibliques. Aux temps violents des origines.
2. Le vaisseau de la véranda
Le passage de l’extérieur vers l’intérieur se fait au début du septième vers : « Je passai dans la véranda ». Il suffit de ce passage pour qu’advienne l’univers familier de l’enfant, avec sa « table mise » et son buffet. Son « couloir » et « son escalier sombre ». Pourtant, envahie par les eaux qui continuent de monter, la véranda ressemble à un vaisseau naufragé. « L’eau frappait les pieds de la table, le buffet. »//« Si haute était déjà l’eau dans la salle ».
3. La « sans-visage »
Loin d’être angoissé par le danger qui le guette, l’enfant semble absent à la réalité qui l’environne. Absorbé seulement par la présence-absence d’un être mystérieux. Une femme, privée de traits, dont il ne livre pas le nom. Mais dont il semble cependant connaître les usages : « La sans-visage que je savais qui secouait la porte du couloir ». Quel lien l’enfant a-t-il avec cette femme ? Qui est-elle ?
Quelque chose fait obstacle à « la sans-visage », qui ne parvient pas à rejoindre le monde des vivants. Sans doute la masse de l’eau qui fait poids contre la porte. L’enfant voudrait l’aider: « Je tournais la poignée ». Mais les morts ne peuvent plus passer du côté des vivants. Revenir en arrière est impossible. Les efforts de la « sans-visage » et ceux de l’enfant restent vains. Chacun est séparé de l’autre, contraint de n’habiter que son propre univers. Le passage du monde des morts à celui des vivants est un rêve irréalisable. Même dans les rêves ! Il semble pourtant que l’enfant soit plus près du monde de l’Hadès que du monde des vivants. « J’entendais presque les rumeurs de l’autre rive ». Mais quelle est cette « autre rive »? S’agit-il de la rive qui se trouve de l’autre côté de la porte, du côté de « l’escalier sombre », du côté de « la sans-visage » ? Ou au contraire de la rive où se trouvent les autres enfants ? Rien ne permet de le savoir. Ni la position du vers - inclus entre « la sans-visage » et les « enfants ». Ni la ponctuation. L’enfant, lui, se trouve sur le seuil, à mi-distance entre les rumeurs du monde des vivants et les rumeurs du monde des morts. Il n’est pas étonnant alors qu’il se perçoive comme tellement différent des « autres », « à jamais les autres », avec leurs « rires » et leurs « jeux », « leur joie », tout à leur insouciance « dans l’herbe haute ».
L’enfant vit la présence des autres comme une séparation. Séparé de la « sans-visage » par une cloison de verre, il l’est tout autant des enfants dont les rires et la joie lui sont inaccessibles.
4. Eurydice, est-ce toi ?
Qui est « la sans-visage » ? Eurydice peut-être ? Puisque tout comme Eurydice, la « sans-visage » tente de rejoindre le monde des vivants. Et comme pour Eurydice, le monde des vivants se dérobe à elle, alors même qu’elle est sur le point de parvenir à ses rives !
Si la « sans-visage » est Eurydice, l’enfant ne pourrait-il pas être Orphée, qui tente désespérément de racheter son erreur en voulant aider la « sans-visage » à passer de l’autre côté de la porte ? Mais Orphée, prince des poètes, est impuissant à ramener à lui Eurydice. Et sa poésie ne parvient pas à rendre au poète une enfance à jamais perdue.
5. Le jeu des allitérations en « S »
Eurydice ! Et si le poète s’était ingénié à glisser dans son poème, les sinuosités du serpent pour suggérer, sans le nommer, le nom d’Eurydice, derrière celui, absent, de la « sans visage »? L’examen ludique des allitérations en « S » dans ce poème, est à cet égard très séduisant .
Je m’éveillai,
c’était la maison natale,
L’écume s’abattait sur le rocher,
Pas un oiseau, le vent seul à ouvrir et fermer la vague,
L’odeur de l’horizon de toutes parts,
Cendre, comme si les collines cachaient un feu
Qui ailleurs consumait un univers.
Je passai dans la véranda, la table était mise,
L’eau frappait les pieds de la table, le buffet.
Il fallait qu’elle entrât pourtant, la sans-visage
Que je savais qui secouait la porte
Du couloir, du côté de l’escalier sombre, mais en vain,
Si haute déjà l’eau dans la salle.
Je tournais la poignée, qui résistait,
J’entendais presque les rumeurs de l’autre rive,
Ces rires des enfants dans l’herbe haute,
Ces jeux des autres, à jamais les autres, dans leur joie.
6. Ambiguïtés de la maison natale
« La maison natale » du premier poème est un univers ambigu qui se joue sur les limites entre conscient et inconscient. Créé par les pouvoirs de l’imaginaire (éveil/rêve), il est séparé en deux par une cloison poreuse. Cette cloison laisse passer l’extérieur vers l’intérieur (l’eau du dehors/l’eau du dedans). Perméable au premier abord, le monde onirique permet la rencontre et la fusion des choses simples avec les données du rêve. Or le « simple » appartient au monde de l’enfance et à son évocation. Une évocation dans laquelle la forme mythologique et la forme biographique s’entrelacent, intimement mêlées. Mais une autre cloison s’interpose qui sépare la « sans-visage » de l’enfant, empêche toute communication entre eux et interdit le passage de part et d’autre de la porte. Ce qui se dit à travers ce poème, c’est sans doute le double visage du rêve. Réserve d’images d’avant le langage, source inépuisable de création, il renferme aussi ses propres limites.
S’il n’y prend pas garde, l’enfant risque de s’enfermer dans le monde clos qu’il habite/qui l’habite (?). De se couper des autres, de se replier définitivement et mortellement sur lui-même. De s’interdire de vivre. La première représentation qui nous est donnée de la maison natale est donc une image de l’exil, occupée par la figure centrale de la « sans-visage ». Et de la mort.
LA MAISON NATALE
SECOND POÈME
1. Un décor de désastre
Toujours en suspens sur le seuil incertain du réveil et du rêve, l’enfant voit surgir la seconde maison natale, arche de Noé enveloppée par le déluge. « Je m’éveillai, c’était la maison natale ». L’enfant déambule d’une pièce à l’autre, témoin silencieux d’une dévastation intérieure. « J’allais d’une à une autre, regardant ». Il découvre un espace envahi dans sa totalité : « toutes les salles/partout ». Soit par l’eau, soit par le verre brisé. La maison est saccagée par le désordre « les miroirs/Amoncelés partout ». Mais surtout par le déluge qui la pénètre. « Il pleuvait… dans toutes les salles ». Dans l’univers du rêve, intérieur/extérieur se mêlent. Les limites entre les mondes fusionnent sans que cela pose de problème de sens.
2. Le jeu de glissement des images
La pluie, cette eau du ciel qui tombe continûment, a remplacé l’écume et l’eau de la vague du premier poème. Cependant l’image de l’eau n’est pas figée. Elle suscite celle du miroir. Et, un peu plus loin, celle du « voile » de la « déesse » : « le voile de l’eau ». Autant de surfaces tremblées, qui se jouent dans les « reflets », « la buée », l’insaisissable et le flou. Par glissements analogiques en effet, les reflets de l’eau fusionnent avec ceux des miroirs. « L’eau qui étincelait sur les miroirs ». Et l’image du miroir appelle celle du visage (cet autre rivage !). Le décor de verre et d’eau de la « maison natale » est donc propice à l’apparition progressive d’une nouvelle figure médiatrice. C’est dans ce jeu de reflets et de lumières qu’apparaît « parfois » un visage. L’adverbe « parfois » montre que l’illusion ne se produit pas toujours et que le « visage » ne se donne pas toujours à voir. Cependant ce visage « riant » semble posséder toujours les mêmes caractéristiques de « douceur ». Une douceur qui contraste étrangement avec la violence du monde dans lequel surgit ce visage : « D’une douceur de plus et autrement que ce qu’est le monde ».
3. La rencontre
La rencontre de l’enfant avec sa médiatrice se produit. Une rencontre qui passe par les sens, visuel, tactile et auditif. « Et je touchais …dans l’image » ; « Je découvrais » ; « j’écoutais ». L’approche de l’autre, son dévoilement, passe par le corps. Mais l’image n’est pas le corps ni le réel. Elle est illusion du réel. « La déesse », convoquée ici par le rêve, combine des traits contradictoires, les uns appartenant au réel, « Les mèches désordonnées », « le voile », « le front triste », « le rire », les autres au monde du miroir et du leurre : « le voile de l’eau ». Celui-là même qui masque les traits d’une « petite fille ». Derrière l’image séduisante de la déesse se cache celle décevante d’une petite fille au « front triste et distrait ».
4. De l’autre côté du « voile d’eau »
Le mot « voile » est ici ambivalent. Il joue à la fois sur le registre du réel - le vêtement - et sur celui de l’écran - la métaphore du « voile de l’eau ». On trouve la même ambivalence dans le verbe découvrir : « Je découvrais ». Découvrir, c’est « ôter » ce qui couvre. « Je découvrais sous le voile de l’eau ». Mais c’est aussi apercevoir pour la première fois. Le même vers développe de manière insistante et l’image du leurre et l’idée d’une progression. Qui se cache derrière le voile ? La « sans-visage » du premier poème a maintenant « un visage ». Est-ce la même, est-ce une autre ? L’une et l’autre sont proches, toutes deux également inaccessibles. Elles appartiennent au même monde de l’au-delà. Elles ne peuvent en franchir les limites ni l’enfant établir avec elles de réel échange. Le poète joue de ces ambivalences qui démultiplient les sens possibles d’un même mot. Le jeu de la polysémie entraîne un foisonnement d’images. Insaisissables comme le sont les images du rêve.
5. Ambiguïtés du rêve
En même temps que l’enfant touche « les mèches désordonnées de la déesse », qu’il découvre « le voile de l’eau », l’enfant participe à l’évanescence du rêve, à son mystère. À ses limites aussi.
Pourvoyeur d’images, le rêve est un « bien » essentiel à la poésie. Au sens où il participe de l’essence même de la poésie. Il en est la dynamique nécessaire. Impliqué au cœur du texte, dans le tressage intime des vers, le rêve impose ses ambiguïtés, entre présence et absence : « être et ne pas être » ; et ses hésitations : « Main qui hésite à toucher la buée ». Est-ce de l’enfant qu’il s’agit ou de la petite fille ? Rien ne permet d’en décider. Peut-être à la fois l’un et l’autre. Pourtant, dans ce jeu de rencontre improbable, c’est la petite fille qui finalement l’emporte. Puisqu’elle s’évanouit, emportant avec elle son rire « dans les couloirs de la maison déserte ». L’enfant, « moqué » peut-être, reste seul, avec sa déception, son désarroi, sa « main tendue qui ne traverse pas ». Une fois de plus, le corps de l’autre se dissout. Absorbé de l’autre côté du miroir, sa présence se dérobe. Ainsi, à trop se complaire dans les images narcissiques du rêve, le poète se noie dans les pièges d’un moi attaché à des présences illusoires.
Au terme de cette nouvelle traversée dans la maison natale, il ne reste que « L’eau rapide, où s’efface le souvenir ». Et la syntaxe distordue de ce vers étrange : « Ici rien qu’à jamais le bien du rêve ».
LA MAISON NATALE
TROISIÈME POÈME
1. Sur le seuil
Le troisième rêve surgit selon le même leitmotiv : « Je m’éveillai, c’était la maison natale ». L’enfant est seul, à nouveau : « J’étais seul », mais le décor de la maison a changé. Non plus en proie aux eaux de la mer et du ciel, mais au « vent froid » et « à la nuit ». Le danger qui enserre la maison semble venir de l’extérieur. Le monde de la nuit s’anime de fantômes qui encerclent la demeure, l’assiègent peut-être. Des arbres en mouvement, pareils aux arbres de la forêt de Birnam, « se pressaient de toutes parts autour de notre porte ».
Si l’enfant est seul, c’est la première fois qu’il évoque sa maison, ici de manière métonymique, « notre porte », en la situant par rapport à ceux qui avec lui l’habitent. Cette fois-ci, alors que dans les deux autres poèmes il déambulait d’une salle à une autre, l’enfant est immobile. Il se tient sur le « seuil » : « J’étais seul sur le seuil dans le vent froid ».
Le seuil, lieu d’hésitation entre les mondes - extérieur/intérieur; rêve/éveil - est le lieu de passage où tout peut advenir.
2. Une scène de conte
Ainsi, à peine l’enfant (ou le poète) a-t-il souligné sa solitude, qu’il se ravise et se reprend : « Mais non, nullement seul ». La scène dès lors s’anime. Deux personnages surgissent aux côtés de l’enfant. Indifférenciés d’abord, les « deux grands êtres » se précisent. Ce sont des femmes. Qu’oppose leur position l’une par rapport à l’autre: « l’un derrière »/« l’autre, debout »; leur âge : « une vieille femme »/une « Belle » ; leur attitude : « courbe, mauvaise »/« l’autre debout dehors comme une lampe ». Jusqu’au nombre de vers et à leur rythme : pour la vieille femme, un seul vers, très haché par des coupes abondantes; trois vers pour la Belle, avec une seule coupe interne qui met en relief le mot Belle. La vieille, toute chargée de connotations négatives, réveille en chaque lecteur la sorcière des vieux contes. Et l’on craint pour la Belle, qui se désaltère « avidement » à la coupe qui lui a été offerte. S’agit-il d’un breuvage magique, d’un poison ? Décrite avec plus de précision et d’insistance - à noter au passage les allitérations en « v » et en « b », dont deux en début de vers, Belle/Buvant; et les assonances en [ã] : « lampe », « tenant », « buvant », « avidement », la Belle surprend par la comparaison qui lui est associée : « comme une lampe ». Issue de la nuit, la Belle concentre sur elle et sur son attitude, toute la lumière du lieu.
3. L’échange
Le mystère de cette scène est encore amplifié par le rapport que les deux femmes ont avec l’enfant. Indifférentes à sa présence, elles ne s’occupent pas de lui : elles/« Se parlaient ». C’est la première fois que dans le recueil de La Maison natale, les médiatrices convoquées par le rêve parlent. Que se disent-elles ? L’enfant ne le dit pas. Leur échange reste secret. Mais il est possible d’imaginer un dialogue rapide autour de la soif, de son urgence, de la boisson que contient la coupe. Ce qui importe ici, c’est que cette parole enveloppe l’enfant, le traverse. Peut-être sent-il leur voix à travers son corps ? Elles « Se parlaient au-dessus de moi, à travers moi. » L’enfant participe donc indirectement à cet échange, non pas tant comme acteur que comme auditeur.
4. L’énigme
La suite du récit est encore plus énigmatique. La vieille femme disparaît; il n’est plus question d’elle. Les deux personnages qui occupent le devant de la scène sont l’enfant et la « Belle ». Inconsciemment et spontanément, le lecteur, par la voix de l’enfant, associe Cérès, nommée à l’avant-dernier vers, à la « Belle ». Mais que s’est-il passé entre eux ? Quelque chose de grave sans doute, d’irrémédiable, dont l’enfant lui-même ne décrypte pas tous les rouages. La réponse pourtant passe par lui, par l’analyse progressive et raisonnée qu’il se fait à lui-même. Une interrogation suivie d’une réponse ferme: « Ai-je voulu me moquer, certes non ». Une alternative en trois temps, qui met l’accent sur la violence du sentiment de l’enfant à l’égard de la Belle : « Plutôt ai-je poussé un cri d’amour », sur la complexité de ce sentiment, marquée par une opposition : « Mais avec la bizarrerie du désespoir ». Et par son caractère de brutalité, de puissance et d’irrémédiable : « Et le poison fut partout dans mes membres ».
5. Le châtiment de Cérès
Un curieux échange s’est donc produit, qui a fait passer les « vertus » du philtre bu par la « Belle » dans les membres de l’enfant !
Une part de la réponse à l’énigme est donnée par l’avant-dernier vers, très ramassé dans sa formulation: « Cérès moquée brisa qui l’avait aimée ». Le châtiment donné à l’enfant est à la hauteur de la blessure éprouvée par Cérès. Elle l’a brisé pour s’être moqué d’elle. C’est du moins ce qu’elle a cru. Le malheur de l’enfant repose sur un malentendu. Une fois de plus, l’enfant est victime de ses rêves et de son incapacité à communiquer avec autrui. Ici cette incapacité touche à ce qu’il a de plus profond en lui. Son amour pour la déesse. Incapable de lui dire la force de ses sentiments, il lui fait don de son désespoir. La vengeance de Cérès ne peut être que mortelle.
Le dernier vers, qui clôt la rencontre de l’enfant avec Cérès, est aussi une conclusion qui concerne la poétique d’Yves Bonnefoy. Une poétique qui passe par la voix. « Ainsi parle aujourd’hui la vie murée dans la vie ». Le rêve est une seconde vie, « une vie dans la vie ». Mais la voix du rêve/la voie du rêve, si elle n’est pas dépassée, ne peut être qu’un enfermement, un emmurement, source de souffrance, d’exil et de dessèchement.
La troisième visite à la maison natale semble se solder, elle aussi, par un cruel échec.
6. La dérision de Cérès
Figure essentielle de la poésie d’Yves Bonnefoy, Cérès est très présente dans Les Planches courbes où son image évolue d’un recueil à l’autre.
Elle apparaît déjà dans La Pluie d’été (Les Chemins, III), figure de l’errance,« suante », « empoussiérée ». Dans La Maison natale, sa venue est annoncée par les figures féminines qui la précèdent : la « sans-visage » (Eurydice, I), la déesse (II). Elle a à voir avec l’exil et la douleur. Avec la mort. Elle ressurgit dans le dernier poème de La Maison natale, réhabilitée par le poète.
LA MAISON NATALE
TROISIÈME POÈME
7. Qui est Cérès ?
Lire Les Planches courbes sans s’interroger sur Cérès, c’est faire l’impasse sur l’une des figures mythiques fondamentales de l’œuvre de Yves Bonnefoy.
Qui est Cérès ? Quel est son rôle ? Quel sens attribuer à cette figure féminine dans le recueil de Yves Bonnefoy ?
La rencontre privilégiée entre Yves Bonnefoy et la figure de Cérès remonte à la découverte (Yves Bonnefoy parle même de « saisissement ») d’une œuvre picturale du XVIIe siècle. Une huile sur cuivre, de petites dimensions (30 x 25 cm), réalisée vers 1608, actuellement conservée au Musée du Prado à Madrid. Intitulée La Dérision de Cérès (ou Cérès et Stellio), cette huile sur cuivre est l’œuvre du peintre allemand Adam Elsheimer (1578-1610), contemporain de Caravage.
Le peintre s’est inspiré des Métamorphoses d’Ovide (43 av. notre ère – v. 17 apr. notre ère) qui raconte dans le livre V (vers 423-461) les aventures de Cérès, déesse romaine de la moisson. Oublieuse de ses devoirs de déesse de la terre, Cérès arpente le monde à la recherche de sa fille, Perséphone (Coré) - enlevée par le dieu des Enfers. Folle de douleur, Cérès n’a de cesse qu’elle n’obtienne satisfaction de Jupiter, père de la jeune fille. Celui-ci propose un compromis à Cérès : Perséphone restera six mois de l’année aux Enfers avec son époux. Les six autres mois, elle rejoindra sa mère à la lumière. Cérès accepte. De cette alternance naissent les saisons. Les six mois de vie souterraine correspondant au dépérissement de la nature et à l’hiver, les six autres au renouveau, printemps et été.
Ovide évoque au cours de son long récit un épisode particulier survenu pendant les pérégrinations de Cérès. L’épisode de la rencontre de la déesse avec Mismé (fille de Baubô) et Ascalabos *, son fils. Rencontre suivie de la demande de Cérès à qui il est offert de quoi se désaltérer. L’avidité à boire de Cérès surprend l’enfant qui se moque effrontément de la déesse. Mortifiée, Cérès se venge. De rage, elle métamorphose l’enfant en stellion (en grec, ascalabos veut dire "lézard moucheté", "gecko" ou "stellion"). Le petit lézard étoilé file s’abriter sous les pierres, sous le regard effaré de sa mère.
EXTRAIT des MÉTAMORPHOSES, V
« Accablée de fatigue, elle était altérée et nulle source n’avait rafraîchi ses lèvres; elle vit alors par hasard une cabane couverte de chaume et frappa à son humble porte. Il en sort une vieille femme ; elle voit la déesse et, comme celle-ci lui demandait de l’eau, elle lui donna une boisson douce préalablement recouverte d’une couche de farine d’orge grillée **. Tandis qu’elle buvait le breuvage offert, un enfant à l’air dur et impudent se planta devant la déesse et se mit à rire de ce qu’il appelait son avidité. Elle ressentit l’offense et, comme elle n’avait pas achevé de tout boire, la déesse jeta sur lui, pendant qu’il parlait encore, le reste de liquide mélangé à la farine d’orge. Il pénètre dans les pores du visage qui se couvre de taches. L’enfant, un instant avant pourvu de bras, maintenant l’est de pattes ; à ses membres transformés s’ajoutent une queue ; son corps est ramené à des proportions réduites, pour qu’il n’ait pas grande possibilité de nuire, et, dans sa taille amoindrie, ce n’est plus qu’un lézard. Comme la vieille femme éplorée s’apprête à toucher l’animal né du prodige, il la fuit et gagne une cachette. Il porte un nom approprié à la couleur de sa peau et son corps est ça et là constellé de gouttelettes. »
Ovide, Métamorphoses, V/423-461, Garnier-Flammarion, 1966, p. 147.
8. La Cérès de Adam Elsheimer et de Yves Bonnefoy
Adam Elsheimer choisit de peindre le moment où Cérès, épuisée de fatigue et de soif, se désaltère « avidement » à la cruche qui lui a été tendue. À côté de la vieille femme (Mismé) se trouve un jeune garçon (Ascalabos) qui montre du doigt la déesse et rit avec impudence de son avidité. C’est ce tableau intitulé Cérès et Stellio, mais aussi La Dérision de Cérès, qui sert de toile de fond à Yves Bonnefoy. Les trois personnages sont présents chez le poète comme chez le peintre. La vieille femme, « courbe, mauvaise »; Cérès, « comme une lampe », illuminée sur le tableau par la flamme d’une bougie et « Buvant avidement de toute sa soif », l’enfant nu riant à gorge déployée et montrant Cérès du doigt.
L’enfant de La Maison natale s’identifie à celui du tableau. Pourtant, très vite, le « je » de la narration, en s’appropriant l’épisode des Métamorphoses peint par Elsheimer, le réinterprète. « Ai-je voulu me moquer, certes non ». Il y a déjà un premier écart entre ce que montre le peintre et ce que dit le poète. Écart qui s’accentue encore lorsque le poète évoque son amour et son désespoir. Il faudra attendre le dernier poème pour voir l’enfant élucider et l’énigme de Cérès et sa propre énigme. « Je comprends maintenant que ce fût Cérès qui me parut ».
9. Une quête éperdue
Dans la seconde strophe du poème XII de La Maison natale, le poète revient sur le rêve de sa rencontre avec la déesse. Il évoque cette apparition en reprenant certains motifs : « la nuit », « la porte », « dehors », la « beauté », la « lumière », puis l’avidité à boire. Mais cette fois-ci, Bonnefoy met clairement la déesse dans la position de quelqu’un qui demande, qui attend un secours, une aide. Elle vient « chercher refuge ». Au-delà de cette demande d’hospitalité, ce qui transparaît, c’est l’expression d’un désir. De sorte que la soif de Cérès devient « besoin de boire au bol de l’espérance ».
L’avidité de Cérès à étancher sa soif trahit l’avidité de son désir de retrouver celle qu’elle cherche. Ce qui s’exprime dans ces vers, c’est la quête éperdue d’une mère qui garde en elle l’espoir de se voir rendre l’enfant perdu mais « retrouvable ». Le poète procède ensuite à un élargissement de son explication en jouant paradoxalement sur les restrictions. Si Cérès a perdu son enfant, c’est qu’elle n’a pas « su » lui faire don du « rire » et de ce « qui fait vivre », « Elle pourtant divine et riche de soi ». Par cette insuffisance, par son manque de savoir maternel, Cérès a exposé sa fille à la « convoitise » d’Hadès. Elle n’a pas su protéger son enfant du désir « du dieu des morts ».
10. Appel à la compassion et à l’amour
Marquée par le deuil et par l’exil, Cérès est pour le poète une figure de l’abnégation et de la souffrance. Une figure exemplaire du désir maternel. Le poète, rejetant toute idée de « moquerie » en appelle à la compassion : « Et pitié pour Cérès et non moquerie ». Et à l’amour: « Aimer enfin Cérès qui cherche et souffre ». À la croisée des chemins « dans la nuit profonde », l’enfant fait le choix, lui, de la pitié pour celle dont il vient enfin de comprendre qui elle est et ce qu’elle veut lui transmettre. Martelée dès le début de la strophe par la répétition de sons durs -[k]-, la présence insistante de Cérès était demeurée obscure à l’enfant. Parvenu à la fin de son expérience, l’enfant accepte que le message de la déesse comporte des zones d’ombre :
« Cris d’appels au travers des mots même sans réponse,
Parole même obscure… »
Le langage de l’amour est un langage difficile, obscur, impénétrable, imparfait. Cérès, mère de la jeune fille enlevée par Hadès, est aussi la mère du « je ». Un « je » capable, après bien des errances et bien des souffrances, de réhabiliter sa mère et de l’aimer malgré ses insuffisances. Exilé de sa mère, l’enfant dépasse sa propre souffrance pour faire sienne, enfin, dans le partage, la souffrance de sa mère.
Mais peut-être faut-il voir, au-delà de cette interprétation purement affective et relationnelle, une interprétation qui concernerait le langage. Le poète, qui a bu « avidement » à la coupe de la poésie, n’aurait-il pas lui aussi été dans l’excès ? Et l’invitation à la réhabilitation de Cérès ne cache-t-elle pas la quête douloureuse du poète : « Beauté et vérité » ?
* C'est en fait Antoninus Liberalis qui, dans ses Métamorphoses, elles-mêmes inspirées d'un récit de Nicandre, nous apprend que l'enfant s'appelait Ascalabos, le gecko. Le nom latin du gecko est stellio, stellion en français. Ceux de mes lecteurs que le sujet intéresse peuvent se reporter à l'étude de l'ethnologue Max Caisson, "Guerre encore entre le stellion et l'araignée", in Mots et mythes. Essais sur le sens des traditions corses, éditions Alain Piazzola, 2004.
** Le breuvage à base de farine d'orge grillé, de fromage rapé et de vin de Pramnos qu'offre la vieille femme à Cérès est le kykéôn, la boisson rituelle que buvaient les initiés aux mystères d'Eleusis.
NOTE : Ne pas oublier d'écouter (sur le site Scérén) l'entretien d'Yves Bonnefoy avec Hélène Waysbord, et notamment l'extrait concernant le pouvoir des images (La Dérision de Cérès d'Elsheimer).
LA MAISON NATALE
QUATRIÈME POÈME
1. Miroirs
Les poèmes IV et V de La Maison natale constituent les deux moments d’un même rêve. Identité marquée en V par le premier vers: « Or, dans le même rêve ». À la fois même et différent. Les deux épisodes ont en commun « la nuit » et « l’eau »; les souvenirs, les voix, l’angoisse, la mort. Le poème V reprend, en écho et en l’élargissant, ce qui s’ébauche dans le IV. En même temps, ces deux moments du rêve s’inscrivent dans la lignée des rêves qui les précèdent. L’expression temporelle « une autre fois », qui marque le début du quatrième rêve, ou le vers: « Il faisait nuit, encore », indiquent bien la réitération du même, l’appartenance de ce récit au même monde onirique.
La première partie du rêve (IV) semble un prolongement de La Maison natale II. Du décor initial de la maison natale, il reste « le sol noir » et l’allusion au déluge antérieur: « de l’eau glissait ». À l’adverbe « doucement » (II) répond l’adverbe « Silencieusement ». Dans cet univers de nuit, de silence et d’eau, le « l » liquide imprime sa marque aux premiers vers : « Il faisait nuit. De l’eau glissait/Silencieusement sur le sol noir. »
2. La collecte des souvenirs
Cependant le rêve, ancré dans la durée, est lié au souvenir. L’enfant possède l’assurance d’un savoir connu : « je savais ». Un savoir qui porte sur une mission unique, à accomplir: « Et je savais que je n’aurais pour tâche/Que de me souvenir. » Cette tâche semble réjouir l’enfant : « et je riais ». Dans l’enthousiasme qui le porte, il se lance dans l’action, rythmée par les allitérations en « r ». Le récit suit les différentes étapes de la collecte des souvenirs: « Je me penchais », « je prenais », « j’en soulevais », « je me retournais ». Mais il bascule au moment où l’enfant s’interroge. Ainsi est-il passé de l’exaltation à l’angoisse. Assimilés à des matériaux composites trouvés sur le sol, mélange ruisselant de terre, de branchages et de feuilles abandonnés là par les eaux diluviennes antérieures, les souvenirs forment une « masse ».Un magma originel qui gît « dans la boue ». La collecte des souvenirs passe par le contact étroit avec le corps et par l’enserrement. Elle a aussi à voir avec l’affect, les sentiments : « J’en soulevais la masse …/Dans mes bras resserrés contre mon cœur. » Pourtant, ce butin constitue une « charge » encombrante : « que faire de ce bois ». Le « bois » ramassé par l’enfant est lourd d’un passé qui n’est plus. Imprégné de « tant d’absence », il renferme les voix de ceux qui ne sont plus. Des bribes de vie s’en échappent encore, quelques résonances parfois, quelques notes plus éclatantes. Marques d’une ancienne synesthésie : « de tant d’absence/Montait pourtant le bruit de la couleur » - écho du « son de la couleur » (p. 79). Que faire donc de tout ce bois sinon le ranger ou le mettre à l’abri ? Dès lors, l’enfant se met en quête d’un lieu propice où entreposer ses trésors. Le rythme des vers devient précipité. La recherche du « hangar » se fait dans l’urgence. La « charge » devient alors plus douloureuse, plus inquiétante, plus angoissante: « Des branches qui avaient de toutes parts/Des angles, des élancements, des pointes, des cris. »
3. « Sur la route vide »
La fin du poème est matérialisée par un blanc, une coupure qui établit une séparation entre les trois derniers vers et le corps du texte. Le blanc marque la fin du rêve et la fin du récit. Les souvenirs rassemblés par l’enfant se font plus précis. Exprimés jusqu’alors métaphoriquement (la métaphore filée du bois et des branchages), ils deviennent dans le tercet final, des « voix », des « ombres », des « on » indéfinis qui poursuivent l’enfant, puis disparaissent, le laissant seul, exilé dans la vie. « Sur la route vide ».
Dans ce rêve, comme dans les précédents, le passé se dérobe, les souvenirs sont des leurres. L’enfant se laisse séduire par les images qui se présentent. Mais elles sont confuses, enchevêtrées, insaisissables. Et elles s’évanouissent, laissant l’enfant à son émotion, « le cœur précipité » et à sa solitude douloureuse.
LA MAISON NATALE
CINQUIÈME POÈME
1. Les lieux du rêve
Le cinquième rêve est un prolongement du rêve précédent. Une continuation en même temps qu’une concrétisation. On y retrouve la présence de l’eau qui prend ici la forme du fleuve. Les souvenirs. L’angoisse de la mort.
À la différence de l’épisode précédent qui ne présentait qu’un lieu aux frontières imprécises, ce nouveau pan de rêve se déroule en trois lieux différents, répartis sur deux laisses. Le premier lieu, le lieu de la barque et du fleuve, occupe la première laisse ; le second lieu et le troisième - maison et salle de classe - sont réunis dans la même laisse. Ces trois lieux, vrais lieux de l’enfance, sont aussi des lieux douloureux de la mémoire.
Consacré aux souvenirs, le rêve se prolonge. L’enfant tente d’y mettre de l’ordre, de lui trouver une logique : « Or, dans le même rêve » D’organiser les « images qui se sont accumulées » pendant son sommeil. Le récit se déroule au présent : « j’écoute », « j’imagine », « je garde ». Sans doute cette partie du rêve a-t-elle toujours toute sa force dans la mémoire du poète. Une force vitale et émotionnelle indemne.
2. Le ventre protecteur de la barque
Le premier lieu évoqué au cours de ce rêve est la barque. Un lieu clos, protecteur, tout en courbes et en creux, dans lequel l’enfant a pris place, « couché au plus creux » de l’embarcation. Peut-être la barque, avec ses « planches courbes », est-elle une variante des bois et branchages amassés précédemment, leur forme agencée pour former une conque ? Des formes féminines surgissent aussitôt. Le ventre maternel est retrouvé.
Le lien qui relie l’enfant à la barque est un lien corporel très fort. Un contact physique étroit, qui passe par les principaux sens. Tactile : « le front, les yeux contre ses planches courbes » ; visuel : « Je garde mes yeux contre le bois » ; auditif : « j’écoute cogner le bas du fleuve » ; olfactif : « le bois/Qui a une odeur de goudron et de colle ». La sonorité dominante semble être la consonne sourde [K], combinée à la voyelle [u] : « couché/courbes/j’écoute/coup ». Le son [u], déjà disséminé dans le poème précédent, est répété à un rythme régulier 2/2/3/2, quatre fois sur le vers 5 : « Et tout d’un coup cette proue se soulève ». L’assonance en [u] imprime au poème sa note longue, son long hululement mélancolique. La position de l’enfant à l’intérieur de la barque, les sensations qu’il évoque sont d’un temps d’avant la naissance. Image du ventre maternel, la barque est à elle seule un microcosme fondateur, d’où l’enfant perçoit les pulsations du monde, les odeurs du réel. Le « simple » est là, présent dans « l’odeur » artisanale de « goudron et de colle ». Les sensations premières éprouvées en amènent d’autres, comme la notion de l’espace : « le bas du fleuve », « l’estuaire ». Le monde réel n’est pas loin, l’arrivée que l’enfant « imagine » est proche : « tout d’un coup cette proue se soulève ». Mais l’enfant s’obstine à garder le visage collé aux planches. La proximité de « l’estuaire », « déjà », ne l’enchante pas. Il redoute les excès des images du « dehors »: « Trop vastes les images, trop lumineuses. » Trop nombreuses aussi. Et cet avant la naissance, ce dedans, est riche, suffisamment, de choses et de mots qui recouvrent ces choses. Le langage du dedans, le langage du rêve, est plus dense, plus percutant que celui qui recouvre les « mots » du dehors. Comment ne pas préférer au monde réel, forcément décevant, incomplet et pauvre, le monde clos du rêve ? Le poète s’interroge : « Pourquoi revoir, dehors,/Les choses dont les mots me parlent, mais sans convaincre …»
La première partie du rêve se clôt sur l’expression d’un désir, fermement et clairement exprimé: « Je désire plus haute ou moins sombre rive ».
Les rives du rêve sont plus hautes sans doute que celles du réel, mais elles sont aussi plus sombres. Pourtant le poète continue de les explorer et de les préférer aux rives du réel. Il poursuit donc sa quête poétique. Elle le conduit vers d’autres lieux du rêve. « La Maison natale » et la salle de classe.
3. La montée de l’angoisse
C’est sans doute l’expression de ce désir étrange qui pousse l’enfant à abandonner la barque - et partant, le ventre maternel - désignée à la laisse suivante par la périphrase : « ce sol qui bouge ». Et à renoncer aussi à ce « corps qui se cherche ». Voilà l’enfant dans un temps d’après la naissance. Le voilà dans « la maison natale ».
Nantie de son vocabulaire ordinaire - pièces, portes et chambranles -, elle est un lieu lourd de menaces. Les pièces, démultipliées par le rêve, sont en proie à une prolifération inquiétante : « Il y en a maintenant d’innombrables ». De même « des portes », dont le pluriel n’est pas défini. Les « chambranles » sont marqués par la décrépitude. Livrée à l’errance de l’enfant - « je vais dans la maison de pièce en pièce » -, la maison est un lieu empli de souffrances, de confusion douloureuse. Elle s’anime de cris, de « voix », de « coups » frappés contre les portes, de « douleurs ». Les âmes de la maison s’emparent de l’enfant dont l’angoisse monte. « Je suis saisi par ces douleurs qui cognent »/« Trop lourde m’est la nuit qui dure ». À la démultiplication des lieux répond l’accélération du rêve, la précipitation : « je me hâte ».
4. L’exil
Mais l’effroi de ce cauchemar se poursuit et l’enfant pénètre, sans transition, dans un troisième lieu. « Une salle encombrée de pupitres ». Que l’enfant ne semble pas reconnaître ni comprendre. Mais une voix parle, qui montre les choses à l’enfant. Les lui présente de manière progressive, patiente. En les nommant par leur nom. Peut-être le visiteur ensommeillé a-t-il du mal à ouvrir les yeux ? Peut-être se sent-il étranger à cet univers ? Peut-être le langage, au lieu de faire exister les choses, les vide de leur sens ? Le « on » qui parle suggère à l’enfant de regarder autour de lui. L’impératif « Vois » est répété par cinq fois au cours de la laisse - dont trois anaphores. Il incite l’enfant à s’intéresser à des images simples, familières : « Vois, c’est l’arbre, vois, là, c’est le chien qui jappe ». Afin peut-être qu’il ouvre les yeux sur ses erreurs, sur ses errements.
Mais ces images sont des images d’avant le langage. Et le langage, lui, est séparateur. Guidé par cette voix qui ânonne les choses pour les faire exister aux yeux de l’enfant, l’enfant revisite ce lieu fondateur où se sont fixées les premières marques de possession et d’appartenance au monde : « ta salle de classe », « tes premières images ». L’énumération continue avec la carte de géographie, les montagnes et les fleuves. Mais, si les choses sont toujours à la même place « sur la paroi jaune », elles ont perdu leurs formes, leurs couleurs, leurs contours. Frappées par le « décolorement », le « dessaisissement », les choses n’ont plus en elles ni magie ni mystère. Le langage s’est figé, en proie à « la blancheur qui transit ». Au lieu de permettre aux choses d’exister, le langage les prive de leur substance. L’univers de la salle de classe se réduit à un ensemble de pauvres choses défraîchies, effritées, déréalisé, sans signification, présidé par une Isis de plâtre, écaillée elle aussi, comme le mur sur lequel se dessinent ses formes imaginaires. Soumise à son tour aux lois de la dispersion, la grande figure mythique d’Isis, déesse égyptienne de la résurrection, se trouve privée de pouvoir. Impuissante à rassembler les souvenirs dispersés de l’enfant, impuissante à ranimer les images défuntes, impuissante à relier l’enfant à un langage unificateur, elle le laisse face à son livre unique - « Vois, ce fut ton seul livre »- un livre absent, ab-sens, vide de sens. Coupée du langage du réel, la mythologie personnelle du poète s’avère impuissante une fois de plus à relier l’enfant au monde. Elle contribue à son exil.
LA MAISON NATALE
SIXIÈME POÈME
1. Un espace de transition
Avec le sixième poème s’amorce un changement. Une issue inespérée à l’enfermement dans lequel se trouvait jusqu’alors l’enfant.
Espace de transition, ce poème est celui du déplacement entre deux lieux. La maison de Tours où l’enfant vit son exil tout au long de l’année et la maison de vacances de Toirac qu’il aspire à retrouver aux grandes vacances.
Le premier vers pourtant commence par le leitmotiv connu « Je m’éveillai ». Mais il introduit aussitôt une variante fondée sur l’opposition « mais c’était en voyage ». L’espace n’est plus celui, inquiétant, de la maison natale onirique, mais un espace mobile, tendu entre deux points, entre la nuit et le jour, entre un ciel déchiré par la foudre et un autre ciel éclatant de soleil. Le lieu clos qui traverse cet espace est le train.
2. « L’avènement du monde »
L’enfant évoque le souvenir de cette longue traversée qui appartient au passé de son enfance : « Je regardais », « Je dédiais ». Un voyage qui s’étire dans le temps : « Le train avait roulé toute la nuit ». Jusqu’au jour qui éclate dans la seconde laisse, séparée de la précédente par un blanc : « Après quoi il fit jour. » Entre les deux espaces se trouve l’« aube », propice à l’observation de « l’avènement du monde ». La naissance mystérieuse et sacrée du jour nouveau peut se lire jusque dans les données les plus ordinaires du paysage, jusque « Dans les buissons du remblai. » L’enfant, jusqu’alors fermé sur lui-même et sur sa propre subjectivité, sur ses leurres, semble gagné peu à peu par un tout autre état d’esprit, qui le rend sensible à l’espace que le train ouvre devant lui : « Il allait maintenant vers de grands nuages, debout là-bas, serrés… ».
Dans cet espace clos dans lequel il est immobile, l’enfant, observateur silencieux, est en état de veille : « Je ne dormais pas ». « Je regardais ». Aucun détail ne lui échappe, ni « la dentelle/Des coussins de lainage bleu » du « compartiment », ni « le lacet de la foudre » qui déchire l’horizon.
3. « Cet autre feu »
L’irruption brutale, à la fin du septième vers de l’expression « et soudain » indique un basculement. Un changement, immédiatement perceptible : « Cet autre feu ». Élément qui entraîne à sa suite « le champ de pierres et de vignes », « une flamme rouge », le « feu des vignerons » et, un peu plus loin, « les montagnes basses ». Autant de présences qui signent de manière tangible la proximité imminente de Toirac. Toute cette fougue généreuse de la « flamme rouge » qui embrase et embrasse « le bas du ciel », la nature et les hommes qui l’habitent, leur travail de la vigne, leur lutte contre les éléments, tout cela parle à l’enfant de la terre qu’il aime, à laquelle il aspire, promesse de présence et de partage.
L’exaltation de l’enfant explose dans la seconde strophe en même temps que le jour. Elle se manifeste dans la métaphore des flèches du soleil qui fait irruption de manière violente dans l’univers ensommeillé des voyageurs. L’enfant, lui, gagné par la générosité des hommes du terroir et empli d’« espérance » se livre à une offrande: « Je dédiais mes mots aux montagnes basses ». Il fait don de sa poésie.
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SEPTIÈME POÈME
1. L’énigme du père
Les poèmes VII, VIII et IX sont directement liés à la présence des parents. Le père apparaît en VII, les parents en VIII, la mère en IX. La maison natale n’est plus, comme jusqu’alors, la maison natale onirique. Elle est la maison où l’enfant a vécu la plus grande partie de son temps, la vraie maison natale, celle de Tours.
Par comparaison avec les poèmes VIII et IX, le poème VII surprend d’abord par sa longueur : quarante-deux vers, répartis en trois épisodes dont une parenthèse de vingt-et-un vers. Mais aussi par l’importance accordée à la figure du père.
Le poème s’ouvre sur la formule rituelle « Je me souviens », celle-là même qui fait remonter le passé à la mémoire. Dans le premier épisode, le fils observe son père de la fenêtre « entrouverte ». L’un est à l’intérieur de la maison, l’autre, le père, à l’extérieur, dans le jardin. L’enfant occupe donc la position privilégiée de celui qui voit sans être vu « J’apercevais mon père ». Mais ils sont suffisamment éloignés l’un de l’autre pour que l’enfant éprouve le besoin de réduire la distance qui les sépare - distance réelle mais aussi symbolique -, peut-être pour surprendre une attitude inconnue de lui, un secret, un indice qui lui permette de répondre à la question : « Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière ? ». « Je m’approchais ».
Quelques éléments récurrents, disséminés d’un poème à l’autre, suffisent pour donner du père l’image d’un homme fatigué, tôt vieilli, usé par le travail et par les déceptions. Un homme effacé et silencieux, résigné. Ici, dans le poème VII, seuls ses outils de jardinier, bêche et pioche, ont à voir avec le monde concret qui est le sien. Au-delà, son dos voûté, son regard, son immobilité, sa lenteur, la fatigue de ses gestes trahissent un rapport au monde difficile, inabouti. Le regard de l’enfant sonde celui du père : « il regardait/Où, quoi… au-dehors de tout//« son regard vers l’inaccompli ou l’impossible ». On sent chez le père une interrogation, une incompréhension, un mystère qui le rend « impénétrable ». Tout aussi « impénétrable… que la fraîcheur de ce matin-là du monde ». Le père est semblable à ce matin d’été dans lequel il se tient, « immobile ». L’enfant cherche à comprendre et il n’y parvient pas. Le mystère de son père, celui de sa jeunesse et de sa vie, lui échappe : « il regardait, où, quoi, je ne savais… » ; « Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,/Je ne le savais pas, je ne sais encore ». Le père reste, définitivement, une énigme pour le poète.
2. Père et fils
À la vision du père dans le jardin vient s’ajouter celle du père à la ville « sur le boulevard ». C’est à un tout autre moment que celui de l’été et des vacances. L’enfant évoque dans cette strophe le monde du père et le sien pris dans une simultanéité qui les oppose. Quatre vers sont consacrés au père, trois à l’enfant. Ce qui caractérise la description du père, ce sont les assonances en [ã], réparties sur les participes présents et les adverbes : « Avançant lentement, tant de fatigue/Alourdissant ses gestes d’autrefois ».
La répétition de ces sons nasalisés met l’accent sur la fatigue du père, sur le poids qui pèse sur sa vie. À la lenteur du père qui repart au travail, s’oppose l’errance de l’enfant, son désoeuvrement sur le chemin de l’école. « Quant à moi/ j’errais avec quelques-uns de ma classe, au début de l’après-midi… »
3. L’offrande
Au mystère de la figure paternelle viennent se superposer d’autres mystères fortement liés à l’enfance. Celui, insaisissable, de l’absence de durée : « Au début de l’après-midi sans durée encore ». Celui ensuite de cette « fraîcheur des matins de l’enfance » et la cruauté des « souvenirs » qui lui sont associés. Car le souvenir du père, tel que l’enfant l’a surpris en ce matin d’été, lui est une souffrance. L’enfant, même s’il ne peut pénétrer la vie de son père, en saisir le sens, en a perçu tout le désastre. Il est probable que l’enfant ait fait sienne pour toujours, à partir de ce matin-là, la souffrance indicible du père. Parvenu « À ce passage-là », le poète ne peut que rendre hommage à celui qu’il a « aperçu de loin ». Cet hommage se traduit, comme pour le poème précédent, par le désir d’une offrande. « Je dédiais mes mots aux montagnes basses/« Que soient dédiés les mots qui ne savent dire ». Le langage et les mots sont impuissants à dire et à traduire l’amour du poète pour son père. Impuissants aussi à dire et à traduire son désarroi.
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SEPTIÈME POÈME
4. La parenthèse de la partie de cartes
À la suite de cette évocation du père, s’ouvre une longue parenthèse sur laquelle il faut s’interroger. À quoi correspond-elle ? Pour quelle raison le poète a-t-il relaté l’épisode de la partie de cartes à l’intérieur de cette parenthèse ?
Le récit de la partie de cartes se déroule sur une longue phrase de quatorze vers très peu ponctuée. Comme si tout ce qui était en train de se dire ou de se jouer devait l’être d’une seule traite. La scène se déroule au cours de « l’après midi d’un dimanche ». Dans l’univers clos de la salle à manger, dont les « volets sont fermés contre la chaleur ». C’est le temps immobile de l’été ajouté à celui des dimanches. C’est l’atmosphère pesante de jours où il ne se passe rien, que domine l’ennui. Le père est désigné tout au long de cet épisode par le pronom personnel « il ». Sur lequel se superpose le « il » de l’enfant maladroit. Le père propose une partie de cartes dont le jeu n’est pas précisé. La seule raison qui est donnée au choix des cartes est qu’elles sont les seules images susceptibles de « recevoir la demande du rêve ». La maison natale est perçue par l’enfant comme un lieu fermé au monde du rêve, un lieu clos privé d’images et de résonance.
La partie de cartes devient source d’espoir pour l’enfant. Espoir qu’enfin l’échange, jusqu’alors impossible, va pouvoir prendre corps. Espoir aussitôt différé par le père: « mais il sort ». L’enfant, déçu dans son attente, « maladroit » peut-être à attirer sur lui l’attention du père, « maladroit » à lui faire don de son désir de le voir reprendre le dessus sur sa vie, brouille les cartes au profit du père, afin « que celui qui perdait gagne ». Les deux verbes en opposition - perdre/gagner - sont réunis côte à côte dans le même vers, le présent l’emportant magistralement sur le passé, « et si glorieusement ». Le geste de l’enfant est calculé mais son attente va bien au-delà de la simple partie de cartes. Ce que désire l’enfant, la « fièvre » qui le brûle, dépasse la victoire éphémère du jeu. Elle est offrande au père afin qu’il puisse tirer « de quoi nourrir » son « espérance ». L’enfant voudrait donner au père ce dont le père parvient pas à lui faire don. L’enfant ne dit rien sur la réaction du père vainqueur, mais il est peu probable que l’attente de l’enfant ait été remplie. Il ne s’est sans doute rien passé, rien produit. C’est ce que laissent entendre les trois derniers vers de commentaire du poète : « Après quoi deux voies se séparent ». Le désir de l’enfant d’instaurer un lien fort avec son père, s’avère être un leurre. Non seulement l’échange que l’enfant espérait n’a pas eu lieu mais la supercherie de l’enfant entérine la séparation d’avec le père. Séparation qui préfigure sa disparition dans les voies de l’oubli: « et ce sera l’oubli, l’oubli avide ».
5. Interprétation personnelle
La longue parenthèse se clôt sur quatre vers séparés du corps du texte par un blanc. Ces vers conclusifs n’appartiennent plus au récit. Alternant vers brefs, tétrasyllabiques (4 syllabes), vers longs, endécasyllabiques (11 syllabes), ils sont un commentaire du poète sur la difficulté de rendre compte de cet épisode par l’écriture. Le poète y exprime ses résistances face à ce texte lourd de réminiscences autobiographiques. Incapable de supprimer ce récit, de lui trouver une langue appropriée - « en vers, en prose »- incapable de réduire au silence la voix intérieure qui le lui dicte, Yves Bonnefoy choisit de lui donner droit à l’existence dans son recueil, en le mettant entre parenthèses. Une longue parenthèse qui se clôt sur ces quatre vers :
« J’aurai barré
Cent fois ces mots partout, en vers, en prose,
Mais je ne puis
Faire qu’ils ne remontent dans ma parole. »
Ce souvenir, d’une très grande intensité émotionnelle, continue d’habiter le poète. Imprimant à la figure paternelle toute sa force iconique douloureuse.
LA MAISON NATALE
HUITIÈME POÈME
Le poème VIII de La Maison natale met en présence, face à face, « les parents ».
1. « La maison qui fut et rien de plus »
La laisse s’ouvre sur l’éveil du dormeur. La formule : « J’ouvre les yeux » fait écho à celle que l’on trouve au début du poème VI : « Je m’éveillai ». Cette identité de situation est suivie d’une opposition: l’itinérance du poème VI est remplacée ici par la confirmation du lieu: « c’est bien la maison natale. » On y retrouve la « petite salle à manger », le jardin avec son « pêcher », « la croisée ». Le vers deux replace « la maison natale » dans ce qu’elle fut réellement, dépourvue de charme, d’affect et de tout pouvoir onirique : « celle qui fut et rien de plus ». C’est la maison de Tours, celle qui s’oppose en tout point pour l’enfant à la maison des grands-parents maternels, la maison rêvée de Toirac.
2. Le face-à-face des parents
La scène décrite ici est inversée par rapport à la scène du début du poème VII. C’est l’enfant qui se trouve cette fois-ci au « fond du jardin », isolé, exclu peut-être, tandis que ses parents « se sont assis » à l’intérieur de la maison. Pourtant cette solitude et cet éloignement exacerbent son regard, tout aussi incisif que dans le poème précédent. Peut-être ce regard est-il celui de quelqu’un qui épie, désireux de surprendre ce qui lui échappe, qui lui est dérobé ? « L’enfant les voit, les regarde ».
Assis à la croisée l’un en face de l’autre, les parents sont d’abord présentés de manière indéterminée : « un homme et une femme ». Puis ils sont désignés par un pluriel qui les rassemble : « les parents ». Enfin, dans les quatre derniers vers, il est question de « l’homme » seul, dont on comprend qu’il est le père de l’enfant. L’enfant, lui, se désigne d’abord par le pronom personnel « Je », puis il prend ses distances, exclu de la scène qu’il découvre. Mais peut-être aussi pour mieux comprendre ce qu’il est en train de voir. Il parle de lui à la troisième personne: « l’enfant », « son fils ».
Le regard de l’enfant se saisit d’un détail inhabituel qui porte sur l’échange entre le père et la mère : « Ils se parlent, pour une fois ». L’absence de communication entre ses parents est une souffrance pour l’enfant qui rajoute en commentaire cette remarque : « Il sait que l’on peut naître de ces mots ». La naissance de l’enfant au langage et à l’autre, sa présence au monde, sont rendues difficiles par le silence qui sépare ses parents. Un silence dans lequel l’enfant est lui-même inscrit, qui a échoué à rapprocher l’un de l’autre son père et sa mère.
3. Le père
Dans les quatre derniers vers, le regard de l’enfant se pose sur le père, sans doute parce que celui-ci est mort alors que l’enfant n’avait que treize ans. La même silhouette que dans l’épisode VII se dessine. Appesantie par la fatigue, « seul nimbe des gestes qu’il fut donné à son fils d’entrevoir ». Du père, l’enfant n’aura rien d’autre que cette image marquée « déjà » de l’empreinte de la mort : « La fatigue…/Le détache déjà de l’autre rive ».
Dans ce contexte familial très triste, où domine l’incommunicabilité, l’enfant pourra-t-il s’épanouir ? À l’inverse du « pêcher qui ne grandit pas ». Et trouver sa voix.
LA MAISON NATALE
NEUVIÈME POÈME
Emboîtements poétiques : De Bonnefoy à Keats et de Keats à la Bible.
Construit sur trois strophes (un quatrain et deux quintils), le poème IX de La Maison natale est consacré à la mère, très peu présente dans l’ensemble du recueil.
Poème d’inspiration biblique, composé autour de la figure douloureuse de Ruth, ce poème est chez Yves Bonnefoy un poème de la révélation.
Introduite par l’hexasyllabe « et alors un jour vint », cette révélation passe par un vers du poète anglais Keats, qui reprend dans son Ode au rossignol, « l’évocation de Ruth » la moabite. Ce « vers extraordinaire » a marqué le poète qui le retranscrit dans la première strophe et développe dans la strophe suivante les réflexions qu’il suscite en lui.
Le vers de Keats a le pouvoir de réconcilier le poète avec lui-même, avec « l’évasive présence maternelle ». Et avec le langage. Le poète effectue un retour sur son passé pour retrouver en lui, sédimenté au plus profond de lui-même, le « sens » de ces mots, révélé par le vers de Keats. Sens qu’il n’a pas eu besoin de déchiffrer, car il faisait partie de lui « depuis l’enfance ». Le passage de l’inconscient au conscient - « Quand il est revenu du fond de ma vie » - emplit le poète d’enthousiasme. Le poète s’approprie ce vers de Keats, le fait aussitôt sien : « Je n’ai eu qu’à le reconnaître » c'est-à-dire, mot à mot, re-naître – avec – « et à l’aimer ».
Le vers de Keats dévoile pour le poète Yves Bonnefoy, traducteur de Shakespeare et de Keats, l’origine de la souffrance maternelle, de ses pleurs (« tears »), engendrés par « le sentiment de l’exil ». La mère est pareille à Ruth, « sick for home », elle est séparée de ce qui lui est cher, le lieu et la maison de ses origines, contrainte de demeurer sur un sol étranger : « She stood in tears amid the alien corn ». Les « larmes » qu’elle verse sont celles du chagrin. Son regard, embué par le désespoir, cherche « Dans les choses d’ici le lieu perdu ».
Les vers de Keats, et donc sa poésie, offrent au poète ce que le langage lui avait refusé. Elle lui ouvre les yeux sur la figure réhabilitée de la mère. Elle comble les manques et déficiences du langage. C’est pourtant par les mots que passe le salut. Les mots réunificateurs et pacifiants de la poésie.
LA MAISON NATALE
DIXIÈME POÈME
Le poème X de La Maison natale est un hommage aux souvenirs heureux. Un poème où s’exprime le bonheur qui passe par l’expérience partagée.
1. Le simple et les sens
Le temps a passé, exprimé par le début du premier vers : « La vie alors ». La phrase nominale est complétée par une forme présentative au passé, « ce fut », qui introduit « à nouveau » la « maison natale ». Mais ce n’est pas la maison de Tours. C’est « une » maison natale, à jamais « perdue », elle aussi, mais que les lieux évoqués ainsi que les sensations qui accompagnent cette évocation rendent proche de la maison de Toirac. Les images associées au bonheur sont celles du « grenier », des céréales, « blé ou seigle », « du dernier sac monté », de « l’odeur de la paille sèche », de « la lumière » et « des étés tamisés par les tuiles chaudes » et, plus loin, de « la montagne autour de nous ». Le bonheur passe par la reconnaissance sensorielle des choses simples.
2. La troisième offrande
À cette atmosphère de chaleur, de « jeu d’ombres léger », de sensations multiples, s’ajoute le souvenir de rêves et de réveils partagés : « et je me tourne encore/Vers celle qui rêva à côté de moi ». Pour la première fois dans le recueil de La Maison natale, le poète évoque l’unité, l’adhésion réalisée à travers le « nous ».
Alors, comme dans les poèmes VI et VII, au plus fort de l’émotion, le poète accomplit une offrande. La troisième et la dernière du recueil. Au « silence » de « la maison perdue » et au « soir » qui l’enveloppe. Une offrande de « mots qui semblent ne parler que d’autre chose ». Autrement dit, qui ne parle que d’elle, la maison des étés de Toirac.
3. « Les grandes voiles » rassembleuses
Par sa structure le poème X est proche du poème VII. En effet la première laisse est séparée d’une longue parenthèse, la seconde du recueil par un blanc. Mais le contenu de la parenthèse en est totalement différent. La quête du partage, entreprise par l’enfant auprès du père et soldée dans l’indifférence (VII), semble se réaliser ici et prendre corps dans l’expérience : « J’aimais ces jours que nous avions ».
La parenthèse qui s’ouvre sur l’évocation du réveil, évoque le souvenir de jours étals, « jours préservés », à l’abri dans la mémoire. Jours dont la lenteur est comparée à celle d’un fleuve : « Comme va lentement un fleuve ». L’impression de glissement régulier invisible est donnée par les allitérations en [v] qui se faufilent dans les vers, à intervalle régulier: « je m’éveillais », « avions », « préservés », « va », « voûtes », « avançaient », « voiles », « voulaient », « vie », « navire », « souvenir »…
Le bonheur de ces jours heureux de plénitude et d’adéquation au monde s’accompagne aussi de la capacité du poète à goûter « la majesté des choses simples », « les tuiles chaudes » et « la montagne autour de nous. »
L’accès au bonheur passe, pour le poète, par une forme de dépouillement. Choix qui relève d’une véritable éthique.
Les imparfaits duratifs de ce passage laissent supposer que ce temps s’étire et se répète dans le passé. Les jours de cette époque-là « avançaient ». Cours lent du fleuve déjà en partie absorbé par « le bruit des voûtes de la mer ». Faut-il voir dans cette métaphore marine une image fusionnelle ou au contraire les prémices d’une souffrance ? L’image de la mer, maison protégée par ses « voûtes », habitat, semble pour le moment être associée à l’idée de protection, de partage : « Les grandes voiles de ce qui est voulaient bien prendre/L’humaine vie précaire sur le navire ». Les « grandes voiles » rassembleuses mêlent à leurs « claquements » et à leur « silence » « le bruit, d’eau sur les pierres, de nos voix ». Les éléments, fleuve, mer, montagne fusionnent pour former le même « navire » protecteur. Et si la mort est présente, « en avant », elle est, pour le moment encore, perdue dans un hypothétique conditionnel : « ce serait bien la mort ». Associée à des images d’enfance heureuse, de bonheur insouciant, la mort, lointaine, repoussée aux confins du temps et de l’espace, n’a encore que la « couleur laiteuse » des origines, qui s’écoule, calme, dans l’euphorie des assonances en [u] : « Et en avant, ce serait bien la mort, /Mais de cette couleur laiteuse du bout des plages/Le soir, quand les enfants/ont pied, loin, et rient dans l’eau calme, et jouent encore. »
La seconde partie du poème, tout entière consacrée au souvenir de ces temps heureux, enclôt cette évocation à l’intérieur de parenthèses, comme si l’expérience du bonheur n’avait eu qu’un temps ou qu’elle ne dût pas être énoncée.
Pourtant les souvenirs fécondent la poésie. Le poète leur rend hommage par l’exclamation lyrique : « Ô souvenir ».
LA MAISON NATALE
ONZIÈME POÈME
1. Le « chemin » au « chardon bleu »
Après la halte lumineuse et la parenthèse heureuse de la Maison natale X, le poète reprend sa route. « Et je repars ». Rêve ou éveil ? Il ne le dit à aucun moment dans ce poème en deux temps, deux strophes. Peut-être s’agit-il d’une sorte de rêve éveillé, brouilleur d’images de vie et de mort.
La première strophe, construite sur sept vers, se répartit sur deux phrases qui se déroulent sur la lenteur. Le rythme régulier est celui du décasyllabe. L’errance du poète est tracée par « un chemin/Qui monte et tourne ». Un chemin qui semble réel avec son paysage de bords de mer, ses « dunes » et ses « sables »; sa végétation de « bruyères » et son « chardon bleu ». Pourtant, la synesthésie qui mêle sensations visuelles et auditives - « un bruit encore invisible » - est plutôt de celles qui caractérisent le rêve. Les sons arrivent comme assourdis par des assonances en « b » ou des affleurements en « v » et « f » : « Au-dessus d’un bruit encore invisible, avec parfois/Le bien furtif du chardon bleu des sables ». L’imprécision donnée par le groupe adverbial - « avec parfois » -, en fin de vers, crée une attente onirique. Que confirme le vers quatre. À mi-strophe, ce vers joue à lui seul le rôle de seuil, de passage, de bascule. Seuil entre le monde des vivants et celui de la mort qui se rapproche « Je suis bientôt à deux pas du rivage ». Un arrêt sur image se produit sur le « chardon bleu des sables », symbole christique d’espérance, et sur le « bien furtif », qui combine une sensation tactile concrète – « furtif » – avec la notion abstraite du « bien ». Seuil temporel aussi, le temps s’arrête et prend soudain une autre forme – peut-être celle de la vague ? : « Ici, le temps se creuse », puis s’accélère, véhiculant d’autres images ; « et c’est déjà/L’eau éternelle à bouger dans l’écume. »
Associée à l’image de la mer, l’image de la mort, déjà implicitement présente dans cette strophe, se précise. Avec son hors temps, sa mouvance, « son écume », « son rivage ».
2. La mort/La poésie
Le cheminement du poète s’arrête « à deux pas du rivage », pour prendre le temps de regarder et d’écouter. Le spectacle auquel il assiste se déroule sur deux registres, visuel et sonore.
La seconde strophe du poème, séparée par un blanc de la précédente est un douzain où alternent décasyllabes et endécasyllabes. Par deux fois, le poète insiste sur ce qui constitue le spectacle auquel il assiste. L’anaphore « Et je vois », en début de strophe, puis à mi-strophe, introduit éléments du décor et acteurs : « un navire »/« des nageurs ».
La première partie du spectacle est marquée par la confusion. Tant sur le plan visuel que sur le plan auditif, où dominent les indéfinis : « un navire », « un candélabre », « des flammes », « des fumées » ; « crie-t-on », « de toutes parts ». Le poète assiste à un drame nocturne, un naufrage : « un navire attend au large ». La vie semble suspendue au-dessus d’un gouffre invisible. Les formes et les couleurs, que domine le « Noir », mis en relief par l’apposition en début de vers, sont brouillées par la nuit et par les « fumées ». La comparaison du « navire » avec un « candélabre » est inattendue mais elle s’explique par le jeu d’alternance de lumières et d’ombres que donne le spectacle nocturne de cet incendie du navire. Au spectacle visuel se substitue, dès le quatrième vers, un spectacle sonore, confus lui aussi. Des cris surgissent, des clameurs. Des questions fusent, des réponses. Une « ombre » prend la parole. Il s’agit bien d’un naufrage puisqu’il faut « aider ceux qui là-bas/…demandent rivage ». Un rivage ultime. Sans doute celui, enveloppant, de la mort.
Le naufrage semble se confirmer dans la seconde partie de la strophe. Où apparaissent, dans l’ordre, « des nageurs », « le navire », « des lampes ». Mais le spectacle de sauvetage n’est pas tout à fait celui que le poète attendait. « Les nageurs qui, dans la nuit,/Se portent vers le navire » soutiennent « des lampes, aux longues banderoles de couleur ». Et si le spectacle semble davantage être celui d’une fête qu’un spectacle funèbre, c’est que la poésie a le pouvoir de transfigurer la mort elle-même « en son lieu de naissance ». Pouvoir de rassembler « beauté et vérité » : « La beauté même, en son lieu de naissance,/Quand elle n’est encore que vérité. »
Le poème se clôt sur l’image fondatrice de la poésie.
LA MAISON NATALE
DOUZIÈME POÈME
La traversée de La Maison natale prend fin avec le poème XII, et l’ultime hommage rendu à Cérès.
1. Confrontations
Assez proche du poème XI par sa structure - une strophe de sept vers, une strophe de douze vers (à quoi viennent se rajouter cinq vers conclusifs) -, ce poème final est très différent du poème précédent sur le plan thématique. Le point d’articulation avec le poème antérieur est donc ici la première strophe. Qui prolonge le thème du naufrage ; quant à la seconde strophe, elle est à mettre en relation avec le poème III de La Maison natale, puisque Cérès, qui réapparaît ici, est la figure centrale sur laquelle se clôt le recueil.
2. Naufrage de « beauté et vérité »
Condensées sur les trois premiers vers, les images du naufrage et de la mort, avec « ces hautes vagues », « ces cris qui s’obstinent », ce « tumulte » sont un écho du douzain précédent. Est présente aussi « l’espérance », annoncée implicitement dans La Maison natale XI par l’image du « chardon bleu ». Par ailleurs, le poème s’ouvre sur le couple binaire « Beauté et vérité », en totale symbiose grammaticale en ce début de poème. Pourtant cette symbiose est instable, remise en question dès le premier vers par la tragédie intense qui se joue : « mais ces hautes vagues ». Le poète, porte-parole des hommes et en butte comme eux avec les contradictions intenses auxquelles ils sont en proie, s'interroge sur les moyens de concilier les contraires. « Comment garder/Audible l’espérance dans le tumulte », « Comment faire pour que vieillir, ce soit renaître ». La répétition de l’adverbe interrogatif « Comment » à trois vers d’intervalle montre l’insistance et l’urgence des questions posées. Trois fois est répétée la subordonnée de but introduite par la locution « pour que » ; qui contient chaque fois un renversement, plus ou moins explicite, du négatif vers le positif : « pour que vieillir, ce soit renaître » ; « Pour que la maison s’ouvre, de l’intérieur » ; « Pour que ce ne soit pas que la mort qui pousse/Dehors celui qui demandait un lieu natal ? » La formulation de ces interrogations se fait par gradation, du plus général au plus particulier. C'est-à-dire ici au plus autobiographique. Au-delà de la question terrifiante du vieillissement et de la mort qui se pose à tout être humain, se pose aussi la question de la maison natale, du vrai lieu et du rapport du poète avec ce vrai lieu, cette maison à jamais « perdue ». Avec l’évocation de la maison ressurgissent les images déjà rencontrées tout au long du recueil, et avec celle toute particulière de la mort qui pousse la porte et cherche hospitalité, renaît l’image de Cérès.
3. Réhabilitation de Cérès
Consacrée à Cérès et à sa réhabilitation, la seconde strophe est une réponse aux questions posées dans la première strophe. La poésie est la seule réponse ontologique possible. Même énigmatique, même confrontée à ses insuffisances et à ses leurres, elle garde en elle sa force d’affirmation au monde. Elle est et demeure pour Yves Bonnefoy, source d’espérance et de salut.
Ce dernier poème de La Maison natale est une relecture par le poète de son propre mythe personnel. Une élucidation de l’énigme du tableau d’Adam Elsheimer dans « l’arrière-pays » affectif et pictural qui est le sien. Poème de fermeture du recueil, il en donne aussi les clés.
LES PLANCHES COURBES
1. Continuité et diversité des Planches courbes
Les Planches courbes est le récit en prose qui donne son titre à l’ensemble du recueil Les Planches courbes. Ce récit se présente comme un conte à deux personnages. Un homme et un enfant évoluent ensemble, depuis leur rencontre jusqu’à leur disparition.
Le décor qui sert de toile de fond à cette nouvelle errance est un décor nocturne, au bord d’un fleuve masqué par des roseaux. La barque, déjà présente dans certains épisodes du Leurre du seuil, ou de La Maison natale, est là, elle aussi. Mais ici, elle appartient à l’homme qui, sans relâche, la conduit d’une rive à l’autre du fleuve. Elle appartient à celui que le poète appelle le « passeur ».
2. Un récit entre mythe et merveilleux
Le début du conte se présente comme l’histoire de Charon, le nautonier (ou nocher) des poètes de l’antiquité, dont Yves Bonnefoy s’inspire pour créer son propre personnage. Le poète reprend à son compte, pour le faire sien, le mythe du « passeur des morts », chargé de conduire les âmes jusqu’à leur dernière demeure. Il leur fait traverser l’Achéron, fleuve des Enfers, moyennant une obole, pareille à « la petite pièce de cuivre » que l’enfant tient « serrée dans sa main ».
Inspiré de récits mythologiques, ce conte est enveloppé d’une atmosphère d’irréalité à laquelle contribuent les jeux d’ombre et de lumière apportés par « la clarté de la lune ». Dès l’incipit, le ton est donné avec la présentation du premier personnage: « L’homme était grand, très grand ». Irréalité confirmée dans le second paragraphe avec un indice supplémentaire: l’homme est un « géant ». Cette donnée marque l’ancrage du récit dans le merveilleux. Qui ressurgit plus tard et plus loin au moment où la barque flanche sous le poids du passeur et de l’enfant: « ce qu’il faut voir, c’est que la barque semble fléchir de plus en plus sous le poids de l’homme et de l’enfant ». Ce ploiement inattendu est suivi d’un troisième épisode merveilleux : la submersion progressive de la barque. L’eau l’« emplit de ses courants », « atteint le haut » des « grandes jambes de l’homme ». Enfin, dernier élément du merveilleux, la métamorphose quasi simultanée de la « petite jambe », devenue « immense déjà » et celle du fleuve, transformé en un monde inquiétant et inconnu, « un espace sans fin de courants qui s’entrechoquent, d’abîmes qui s’entrouvrent », mais aussi un univers onirique « d’étoiles ».
À plusieurs reprises, cependant, le poète transforme le récit en le soumettant à des bifurcations imprévues.
La première distorsion se produit avec l’entrée en dialogue des deux personnages. Un dialogue dont l’enjeu pour l’enfant est d’obtenir du « géant » qu’il accepte d’être son père : « Écoute, dit l’enfant, veux-tu être mon père ? ». La demande de l’enfant constitue une épreuve pour le « géant ». Se pose alors la question de l’issue.
La seconde distorsion est celle de la submersion progressive de la barque. La disparition de la barque vient interrompre puis engloutir la question première et primordiale de la filiation. Cet événement laisse le récit en suspens, l’abandonnant à son mystère. Rien n’est moins sûr que l’issue de ce conte.
3. Le dialogue
La rencontre entre l’enfant et le géant se noue autour d’un dialogue. C’est l’enfant qui le premier adresse la parole au « géant », alors même qu’il ne le connaît pas. Loin d’apparaître comme le vieillard hirsute et haillonneux de la mythologie, le géant est présenté comme un homme affable, empli de sollicitude, qui s’intéresse d’emblée à l’enfant. Surpris sans doute de voir le jeune garçon hanter ces rivages cachés par les roseaux, le géant s’empresse de le questionner, sur un ton familier, l’appelant « mon petit ». Les questions qu’il lui adresse sont simples, courantes. Elles concernent l’identité de l’enfant: son nom, ses parents, sa maison. Autant de questions auxquelles l’enfant ne sait pas répondre, ou ne répond que par la négative. « Je ne sais pas » (deux fois) ; « on ne m’appelle pas ». « Je ne me souviens pas de cela non plus. » L’enfant, privé de mémoire affective, semble tout ignorer de ce qui est ou fait habituellement le monde relationnel d’un enfant. Dépossédé de tout, jusqu’à la notion même de père lui est inconnue : « Un père, dit-il, qu’est-ce que c’est ? ». Le seul monde qui lui soit connu et familier, c’est le monde des morts. Il semble qu’il en connaisse déjà les rives. Il en comprend le langage. Il sait où trouver le passeur. Il sait aussi qu’il lui faut une pièce pour pouvoir monter dans la barque. Lui qui ignore tout du monde relationnel des vivants, il est attentif à ne pas brusquer le passeur des morts, à ne pas troubler son immobilité. Il craint « d’attirer trop fort l’attention de l’homme ». Il sait déchiffrer dans son visage l’expression de quelqu’un « absent de soi. »
LES PLANCHES COURBES
4. La question du père
S’engage alors une discussion autour du père, dans laquelle le « géant » tente de proposer une approche de cet être à part. Pour aborder cette question importante, le géant, sorti de son repaire de roseaux, s’installe « sur une pierre, près de sa barque ». Ici, la « pierre », cette image « simple », prend tout son sens. Elle se charge de toute sa force symbolique. Elle est une marque, une stèle dans le dialogue entre les deux personnages. Le point de départ d’une complicité, d’un lien, d’un échange. Peut-être l’ancrage d’un don.
À la question de l’enfant : « Un père, qu’est-ce que c’est ? », le passeur répond. D’abord par la surprise, en reprenant l’interrogation : « Un père ? ». Puis il s’engage dans une définition incluse dans deux subordonnées relatives: « celui qui »… « et qui ». La figure du père qui se dessine et prend forme dans la réponse du passeur est une figure consolatrice : « celui qui te prend sur ses genoux quand tu pleures ». Cette figure passe par le corps rassurant du père, qui offre ses genoux à l’enfant ; elle est une figure de proximité : « qui s’assied près de toi le soir », présence rassurante aux abords du sommeil de l’enfant : « lorsque tu as peur de t’endormir »; elle est une figure du don « pour te raconter une histoire ».
Attentif aux mots, l’enfant l’est aussi à d’autres détails. Il a noté le « petit rire », indéfinissable - « une sorte » -, qui a précédé la prise de parole du passeur ainsi que la qualité de sa voix qui « vint de moins loin dans la nuit ». La proximité avec l’autre, l’échange, passent aussi par la proximité charnelle d’une voix.
Ce dessin de la figure du père laisse l’enfant à son silence : « L’enfant ne répondit pas ». Un silence pourtant empli de résonances muettes, que le passeur semble avoir perçues. Puisqu’il reprend la parole en disant : « Souvent on n’a pas eu de père, c’est vrai ». Peut-être aussi faut-il voir dans cette réflexion une similitude relationnelle. Le pronom indéfini « on » suggère en effet que le passeur non plus n’a pas eu de père. L’un et l’autre, enfant et passeur, se définissent par le même manque, la même absence relationnelle au père.
5. Les femmes, figures tutélaires du foyer
Poursuivant sa réflexion, le passeur rebondit sur la présence féminine, compensatrice de l’absence paternelle. Non pas sur la figure, unique, de la mère, mais celle plurielle des femmes au foyer. Image traditionnelle, colportée par les récits oraux - dit-on - des « jeunes et douces femmes », gardiennes du feu et de la civilisation (le cuit par opposition au cru), qui pourvoient à la cuisson des plats et veillent sur les marmites où mijotent les repas. Actives et vigilantes, elles imprègnent de leur présence physique corps et voix, l’espace intime et chaleureux du foyer. Elles sont dans la répétition ancestrale des gestes sacrés - tous les verbes sont au présent de vérité générale - de l’entretien du feu, de la lallation qui berce. Elles « chantent des chansons ». Elles sont présentes dans leur éloignement par « l’odeur de l’huile qui chauffe dans la marmite ».
6. Le passage du fleuve, une nécessité
Cette évocation, pourtant archétypale, n’a pas d’écho dans la mémoire de l’enfant : « Je ne me souviens pas de cela non plus ». Mais dans la « légère voix cristalline » de l’enfant, nulle intonation de nostalgie, nul regret, nulle plainte. Seule demeure chez lui la volonté tenace, obstinée, d’accomplir son projet initial : « Je dois passer le fleuve ». Le dialogue sur la question du père est momentanément interrompu pour laisser la place à nouveau au rite du passage. Préoccupation majeure de l’enfant.
Pour prononcer cette phrase clé, « Je dois passer le fleuve », suivie de l’affirmation « j’ai de quoi payer », l’enfant s’est rapproché du passeur. Peut-être pour ne pas être entendu par d’autres ombres, peut-être pour resserrer encore l’intimité avec le géant dont l’enfant perçoit la « respiration égale, lente ».
7. Le passeur christophore *
Il se produit alors une scène étrange. Avec le glissement inattendu autour de la figure du géant qui combine en lui plusieurs visages. À la figure du passeur - la barque, la perche, l’obole de l’enfant - vient se superposer la silhouette rassurante de saint Christophe. Cette substitution passe par un enchaînement d’actes et d’attitudes : « Le géant se pencha, », « le prit », « le plaça », « se redressa », « descendit ». Succession d’actions qui marquent l’engagement du géant auprès de l’enfant. Celui-ci est accueilli « dans ses vastes mains » et placé « sur ses épaules ». Le discours du géant est en accord avec ses gestes. Le ton est injonctif : « Allons, dit-il. Tiens-toi fort à mon cou ! » L’enfant se plie à ces injonctions : il « se cramponna à son cou ». Peu à peu, une fois le rôle de christophore assuré, le géant reprend son rôle de passeur : « D’une main, il retenait l’enfant par une jambe, de l’autre il planta la perche dans l’eau »; il « put prendre alors la perche à deux mains, il la retira de la boue ». La barque peut alors s’ébranler et glisser vers le large. Cet épisode du passage se clôt sur un éventail de sensations auditives et visuelles : « le bruit de l’eau s’élargit sous les reflets, dans les ombres ». Dans un jeu de clairs-obscurs.
* Christophe signifie étymologiquement : « qui porte le Christ ».
LES PLANCHES COURBES
8. L’épreuve de la paternité
C’est dans cette atmosphère irréelle que se réinstaure le dialogue autour du père. C’est l’enfant, qui s’est encore rapproché du géant et se relie à lui par un geste intime - « un doigt toucha son oreille » -, qui revient sur la question précédente tout en la précisant : « veux-tu être mon père ? ». Cette question implique que l’explication proposée par le géant a fait son chemin dans l’esprit de l’enfant et que l’enfant a investi le bon géant de toute sa confiance filiale. Cela implique aussi que l’enfant a perçu la similitude de la situation du passeur avec la sienne. Leur solitude et leur manque sont identiques. Pourtant, la question à peine formulée, l’enfant bouleversé par l’émotion que le manque du père suscite en lui, éclate en sanglots, « la voix brisée par les larmes. »
La reformulation de cette interrogation place à nouveau le géant devant l’épreuve de son engagement auprès de l’enfant. Le dialogue reprend, ponctué par les résistances du géant, par l’insistance de l’enfant dans sa dernière supplication : « Oh, s’il te plaît, sois mon père ! Sois ma maison ! » Suivie du dernier refus du géant: « Il faut oublier tout cela… »
9. Le refus de la paternité
À la question de l’enfant « veux-tu être mon père ? », le passeur oppose l’argument de son état : « Ton père ! Mais je ne suis que le passeur ! » La fonction de père ne peut s’inscrire dans la restriction - « ne… que » - ou dans la négation. Être père implique davantage que de ne s’éloigner « jamais d’un bord de la rive à l’autre ». Être père implique aussi une stabilité, un ancrage : « Pour être père, il faut avoir une maison ». Le géant, lui, ne connaît pas cette stabilité ; il est un nomade du fleuve et sa maison ce sont « les joncs de la rive ».
Aux résistances du géant, l’enfant oppose son obstination : « Mais je resterais avec toi, au bord du fleuve »; « Mais je resterais si volontiers auprès de toi, sur la rive ! » Dans la quête de filiation de l’enfant, il y a du désarroi et du désir. Désarroi intense face à la résistance du passeur, désir mimétique de le suivre dans son domaine, de s’assimiler totalement à lui. Mais le géant repousse ce rêve. La réponse à la requête de l’enfant est tranchante: « Non, dit le passeur, ce n’est pas possible. » Et il rejette, au dehors de lui, les raisons de son refus: « Et vois, d’ailleurs ! »
10. La réalité contre le rêve
Ce que le géant donne à voir à l’enfant, c’est la réalité. La réalité qui est la leur. Celle de la barque qui « semble fléchir de plus en plus sous le poids de l’homme et de l’enfant. » Celle de la difficulté du passeur qui « peine à la pousser en avant ». Celle de la montée progressive et sûre de l’eau qui « arrive », « franchit » le bord, « emplit la coque » malmenée par les « courants », « atteint le haut de ces grandes jambes ». La force de la réalité extérieure met en danger le corps du géant en même temps qu’elle rend inopérantes « les planches courbes » dont l’appui « se dérobe ». Pourtant, face aux dangers qui le menacent, « l’esquif ne coule pas ». Berceau du rêve pour l’enfant, l’esquif s’estompe et passe au second plan: « c’est plutôt comme s’il se dissipait. » Faut-il interpréter cette remarque comme une forme de renoncement de l’enfant au monde qu’il est en train de quitter, le monde de l’enfance ? Lui qui n’a pas encore accédé à la relation fondamentale et fondatrice du fils au père !
Demeure la question poignante du père. Qui prend toute sa dimension symbolique dans le dernier épisode du « passage ». La traversée du fleuve à la nage.
11. La nature divine de l’enfant
À ce moment-là de l’épreuve qu’ils affrontent tous deux, solidement arrimés l’un à l’autre, le géant trouve les paroles réconfortantes pour minimiser l’aspect effrayant du fleuve et la longueur du trajet: « N’aie pas peur, dit-il, le fleuve n’est pas si large, nous arriverons bientôt ». Ces paroles apaisantes sont celles qu’un père donne à son enfant pour le rassurer face au danger qui se présente. Le géant colle si bien à son rôle de père que l’enfant ne peut résister à formuler sa prière : « Oh, s’il te plaît, sois mon père ! » Et s’il formule cette prière, c’est qu’il ne s’y est pas trompé. C’est que, malgré ses résistances, le géant est advenu jusqu’à cette figure du père, depuis qu’il a pris l’enfant sur ses épaules. Qu’il le veuille ou non, le passeur est devenu le père désiré de l’enfant, même s’il s’obstine à ne pas reconnaître cette relation et à refuser de la nommer. « Il faut oublier ces mots. Il faut oublier les mots. » Peut-être le passeur a-t-il peur de ne pas être à la hauteur des attentes de l’enfant ? Peut-être faut-il se garder des mots, qui sont impuissants et trompeurs ? Cependant les gestes de père, eux, sont acquis à l’enfant. Ils sont visibles, tangibles. Gestes d’affection, de protection, de consolidation d’un lien charnel: « Il a repris dans sa main la petite jambe ». Le géant ne revient pas sur ce qui est commencé: « de son bras libre il nage », pris avec l’enfant « dans cet espace sans fin de courants », il en accepte les turbulences et les « abîmes ». Mais aussi la part de rêve et les « étoiles ». Le passeur reçoit comme un don la nature divine de l’enfant. Nature christique qui prend toute sa dimension au moment où la petite jambe devient « immense déjà ».
12. Le salut par la poésie
Ainsi, la rencontre du passeur avec l’enfant permet-elle, au fil du récit, la métamorphose du passeur des morts en saint Christophe. L’enfant apparaît donc dans ce récit comme une figure salvatrice. Mais il est aussi celui que le géant sauve du fleuve. Les figures de sauveur/sauvé se superposent et se confondent pour fusionner dans des réseaux d’images énigmatiques dont l’issue du récit ne livre pas la clé. Le conte se referme sur son mystère.
Il serait tentant de placer le récit des Planches courbes dans une perspective chrétienne. Mais ce serait un contresens grave puisque Yves Bonnefoy se déclare athée. Et si le poète reprend la légende du géant saint Christophe, telle que la raconte Jacques de Voragine (1225~1230-1298) dans La Légende Dorée, il faut se garder de conclure à une issue religieuse du conte. Nulle conversion ici, mais un « passage » qui conduit à une forme de salut. Le salut du passeur et de l’enfant qui passe par l’échange et le partage ; par l’acceptation des épreuves imposées ; par l’acceptation de la finitude propre à l’être humain. Un salut qui passe aussi par l’acceptation des limites du langage. Que seul peut transfigurer la poésie. Accepter « d’oublier les mots », c’est accepter le réel et paradoxalement, au-delà, c’est permettre au langage poétique d’advenir. Et au monde de ressurgir :
« dans cet espace sans fin de courants qui s’entrechoquent, d’abîmes qui s’entrouvrent, d’étoiles. »
Angèle Paoli/TdF
Plan détaillé de la lecture des Planches courbes. Pour accéder à chacune des étapes de lecture, cliquer sur les chiffres romains soulignés. - Les Planches courbes (I) ; Divagations autour du titre du recueil. Un titre énigmatique. Dans le leurre des mots. - Les Planches courbes (II); LA STRUCTURE DE L'ŒUVRE. DANS LE LEURRE DES MOTS. PREMIER VOLET. 1. Ancrages ; - Les Planches courbes (III) DANS LE LEURRE DES MOTS. PREMIER VOLET. 2. Le retour d’Ulysse ; - Les Planches courbes (IV); DANS LE LEURRE DES MOTS. PREMIER VOLET. 3. L’impossible oubli. 4. L’avancée dans le rêve. - Les Planches courbes (V) ; DANS LE LEURRE DES MOTS. PREMIER VOLET. 5. Les trois acteurs du rêve. 6. De la fragilité de la voix. VOCABULAIRE PORTATIF. - Les Planches courbes (VI) ; DANS LE LEURRE DES MOTS. DEUXIÈME VOLET. 1. Le risque du « je ». 2. La « chimère retorse ». - Les Planches courbes (VII) ; DANS LE LEURRE DES MOTS. DEUXIÈME VOLET. 3. La promesse. 4. Prendre le risque. 5. « De la musique avant toute chose ». - Les Planches courbes (VIII) ; DANS LE LEURRE DES MOTS. DEUXIÈME VOLET. 6. La poésie, entre désespoir et espérance. - Les Planches courbes (IX) ; LA MAISON NATALE. APPROCHE. 1. Itinérance dans La Maison natale. 2. Petite fantaisie allégorique. - Les Planches courbes (X) ; LA MAISON NATALE. PREMIER POÈME. 1. Une arche de Noé sans vie. 2. Le vaisseau de la véranda. 3. La « sans-visage ». 4. Eurydice, est-ce toi ? 5. Le jeu des allitérations en « S ». 6. Ambiguïtés de la maison natale. - Les Planches courbes (XI) ; LA MAISON NATALE. SECOND POÈME. 1. Un décor de désastre. 2. Le jeu de glissement des images. 3. La rencontre. 4. De l’autre côté du « voile d’eau ». 5. Ambiguïtés du rêve. - Les Planches courbes (XII); LA MAISON NATALE. TROISIÈME POÈME. 1. Sur le seuil. 2. Une scène de conte. 3. L’échange. 4. L’énigme. 5. Le châtiment de Cérès. 6. La dérision de Cérès. - Les Planches courbes (XIII) ; LA MAISON NATALE. TROISIÈME POÈME. 7. Qui est Cérès ? 8. La Cérès de Adam Elsheimer et de Yves Bonnefoy. 9. Une quête éperdue. 10. Appel à la compassion et à l’amour. - Les Planches courbes (XIV). LA MAISON NATALE. QUATRIÈME POÈME. 1. Miroirs. 2. La collecte des souvenirs. 3. « Sur la route vide ». - Les Planches courbes (XV) ; LA MAISON NATALE. CINQUIÈME POÈME. 1. Les lieux du rêve. 2. Le ventre protecteur de la barque. 3. La montée de l’angoisse. 4. L’exil. - Les Planches courbes (XVI) ; LA MAISON NATALE. SIXIÈME POÈME. 1. Un espace de transition. 2. « L’avènement du monde ». 3. « Cet autre feu » ; - Les Planches courbes (XVII) ; LA MAISON NATALE. SEPTIÈME POÈME. 1. L’énigme du père. 2. Père et fils. 3. L’offrande. - Les Planches courbes (XVIII) ; LA MAISON NATALE. SEPTIÈME POÈME. 4. La parenthèse de la partie de cartes. 5. Interprétation personnelle ; - Les Planches courbes (XIX) ; LA MAISON NATALE. HUITIÈME POÈME.1. « La maison qui fut et rien de plus ». 2. Le face-à-face des parents. 3. Le père ; - Les Planches courbes (XX) ; LA MAISON NATALE. NEUVIÈME POÈME. Emboîtements poétiques : De Bonnefoy à Keats et de Keats à la Bible ; - Les Planches courbes (XXI) ; LA MAISON NATALE. DIXIÈME POÈME. 1. Le simple et les sens. 2. La troisième offrande. 3. « Les grandes voiles » rassembleuses ; - Les Planches courbes (XXII) ; LA MAISON NATALE. ONZIÈME POÈME. 1. Le « chemin » au « chardon bleu ». 2. La mort/La poésie ; - Les Planches courbes (XXIII) ; LA MAISON NATALE. DOUZIÈME POÈME. 1. Confrontations. 2. Naufrage de « beauté et vérité ». 3. Réhabilitation de Cérès ; - Les Planches courbes (XXIV) ; LES PLANCHES COURBES. 1. Continuité et diversité des Planches courbes. 2. Un récit entre mythe et merveilleux. 3. Le dialogue ; - Les Planches courbes (XXV) ; LES PLANCHES COURBES. 4. La question du père. 5. Les femmes, figures tutélaires du foyer. 6. Le passage du fleuve, une nécessité. 7. Le passeur christophore ; - Les Planches courbes (XXVI) ; LES PLANCHES COURBES. 8. L’épreuve de la paternité. 9. Le refus de la paternité. 10. La réalité contre le rêve. 11. La nature divine de l’enfant. 12. Le salut par la poésie. |
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