Éphéméride culturelle à rebours
par Angèle Paoli

Artemisia Gentileschi, Self-Portrait as the Allegory of Painting (La Pittura), c. 1638–39, oil on canvas, 98.6 x 75.2 cm (Royal Collection Trust, London)
Le 8 juillet 1593 naît à Rome, Artemisia Gentileschi, fille du peintre Orazio Lomi Gentileschi (1563-1639) et de Prudenzia Montoni Gentileschi, son épouse.
Artemisia Gentileschi ! C’est une longue et étonnante histoire que celle qui me lie de longue date à Artemisia Gentileschi. Une histoire qui n’est sans doute pas terminée. Du moins, je l’espère. Il y a longtemps que je m’intéresse à elle. Longtemps que je me penche sur sa vie et sur son œuvre, les deux étant intimement liées. C’est à Rome que je l’ai rencontrée pour la première fois, au cours de deux grandes expositions qui lui ont été consacrées. Suivies ensuite par deux expositions en France, celle du musée Maillol (2012 ?) et celle du musée Jacquemart André qui est sur le point de se terminer. Je ne me lancerai pas ici dans le récit de mon cheminement avec cette grande artiste, longtemps méconnue et cantonnée dans l’histoire de « son viol » et du procès qui s’en est suivi. Ma découverte d’Artemisia a été alimentée par de nombreuses lectures, tant en italien qu’en français ; par de non moins importantes déambulations dans la Rome de sa jeunesse et de ses apprentissages, ainsi que dans la Florence où, soutenue par des mécènes sûrs de son talent, elle a longtemps séjourné, s’est construite et perfectionnée. Les hasards de la vie et les rencontres inattendues ont fait le reste.
Je dois à mon amie Joelle Gardes de m’être attelée à l’écriture de ce texte dont elle avait salué les qualités et l’importance. Elle voulait accueillir ce récit dans une nouvelle collection qu’elle était en train de mettre au point et de diriger. Elle m’avait suggéré une étude sur la poète Gaspara Stampa (1523-1554) ; je lui ai proposé un récit sur Artemisia Gentileschi.
Hélas, ce projet a été brutalement interrompu par le décès brutal, en septembre 2017, de la brillante linguiste et grammairienne qu’était Joëlle Gardes. Mais il n’a pas été abandonné pour autant. Je dois à Anna Tauzzi, triestine rencontrée un soir de l’automne 2017 sur la strada vinaghjola du Cap Corse, la traduction en italien d’Artemisia au miroir et sa publication en juin 2018 à Trieste sous le titre Artemisia allo specchio.
Je profite de cette éphéméride pour rendre hommage ici, non seulement à Artemisia Gentileschi mais aussi à Joelle Gardes sans laquelle ce récit n’existerait pas et à Anna Tauzzi qui lui a donné vie en Italie. En espérant qu’Artemisia au miroir pourra enfin voir le jour en France.
XI
Suzanne et les vieillards
Moi, vois-tu, Isolda, j’ai toutes les raisons de peindre la scène du meurtre. À la différence de mes maîtres les plus célèbres, j’ai connu la violence. Eux s’inspirent des récits antiques pour la décrire et l’exposer aux yeux de tous. Pour la montrer. Moi, cette violence, je l’ai subie. Je l’ai traversée. Je l’ai vécue au plus intime de ma chair. Elle a fondu sur moi et elle m’a terrassée. J’ai été meurtrie. Et l’outrage me colle à la peau. J’ai beau frotter, rien ne s’efface. Je sens la douleur dans mes muscles. Le sperme d’Agostino coule entre mes cuisses, mêlé au sang de mon sexe. Cela te choque, Isolda, que je parle ainsi ? C’est pourtant la stricte vérité. Cet Agostino, vois-tu, je le voue aux gémonies. À cause de lui, non seulement j’ai perdu ma virginité, contrainte par la force et jetée sur le lit comme une vulgaire femelle offerte ; non seulement j’ai subi l’affront et la douleur du viol, mais j’ai été traînée dans la boue. Putana, putana… Je les entends dans mon dos, qui me traitent de putain lorsque je passe dans les venelles, au-delà de la via della Croce, derrière le Corso. Vais-je devoir me voiler la face ? Me cacher? Frôler les murs et ne sortir que sur le tard ? Ils aimeraient tant que j’en sois une, de putain, une vraie, pour pouvoir me cracher leur haine au visage, ouvertement, sans se gêner.
-Pensez donc, une fille qui peint, comme son père ! À l’égal des hommes ! Quelle audace ! Quelle prétention ! Que peut-elle être d’autre sinon une traînée ? Je sais bien ce qu’ils disent. Ils disent aussi que c’est de la faute d’Orazio. Parce qu’il m’a prise comme modèle et m’a fait poser nue. Sous le regard égrillard et narquois des garzoni.
- Che vergogna, à son âge ! Tout juste pubère et déjà offerte.
- Le vieil Orazio ne sait-il pas que le nu est interdit par l’église ?
- Cela lui est bien égal d’exposer ainsi sa fille à la concupiscence des hommes. Pas étonnant qu’Agostino Tassi n’ait pu résister à pareille tentation !
- Mais lui, le pauvre ! Ce n’est qu’un homme ! victime de ses fantasmes et de ses pulsions. Peu lui importe d’être un ami de longue date de son père, son compère par surcroît. - Je me demande si le père… allez savoir… il se pourrait bien que…
Taisez-vous donc mes voix. Laissez-moi en répit. Il est grand temps que vous retourniez dormir dans les spelunche et les taffoni qu’abrite mon corps. Il est grand temps que je me ressaisisse.
-Allez, filez ! Les voix peu à peu s’assourdissent.
Elles se retirent. Artemisia est seule à nouveau, face à elle-même. Sa respiration se fait plus calme. Elle se dirige vers l’atelier et ouvre le coffre lourd dans lequel elle range ses couleurs et ses pinceaux, ses châssis et ses toiles. Parmi elles, la toute première de ses réalisations. Elle retire le drap dans lequel est enveloppée la toile. Suzanne surgit. Sa Suzanne au bain. Ou plutôt sa Suzanne et les vieillards. Sa toute première création. Artemisia nourrit pour elle une grande tendresse. Elle met la toile à distance, bras tendus, col incliné. Inconsciemment, elle adopte le même mouvement de torsion que son héroïne. Buste et bras. Elle lui fait face. Elle l’observe. Jeu de miroir. Elle se regarde. Elle est Suzanne. Elle entrevoit dans les formes de sa Suzanne, celles de son corps à elle. Non pas le corps de ses seize ans, mais celui qu’elle aura, lorsqu’elle sera devenue une femme. Une vraie femme.
Elle le devine, ce corps de femme, elle en perçoit les courbes pleines, les rondeurs. Déjà le galbe souple de son sein est là pour témoigner du corps qui sera le sien dans quelques années. Sa longue chevelure tombe en torsades rebelles le long des épaules, dans son dos. Elle déplace la toile, l’oriente à contre-jour. La lumière joue sur les chatoiements de la peau, sur la blancheur de la carnation et les recreux du ventre. Le nombril, au centre. Une évidence.
Assise sur le rebord d’une vasque, un pied dans l’eau du bassin, Suzanne est nue. Presque entièrement nue. Un reste de drapé recouvre sa cuisse et cache son pubis.
Lèvres entrouvertes, mains tendues, Suzanne tente d’échapper à l’indiscrétion des vieillards. Les traits de son visage, le mouvement de torsion de son buste traduisent le désarroi face au danger que représente l’irruption des deux hommes dans son intimité dévoilée. Penchés au-dessus du mur qui les sépare et qui l’enferme, elle, ils sont là, courbés sur elle. En surplomb. Pour mieux la voir. Pour mieux se saisir d’elle.
L’un contre l’autre étroitement serrés, ils forment un seul et même corps. Le corps du délit. Un corps unique qui fait masse. Deux têtes surgissent des épaules. Deux vieillards ? Non, un seul. Celui qui regarde en direction de Suzanne, un doigt contre les lèvres. Chut. Il ne faut pas éveiller les soupçons d’un mari jaloux. Ni ceux d’un amant à qui la belle a peut-être donné rendez-vous. Le second est beaucoup plus jeune. En témoigne l’abondante chevelure bouclée, d’un noir de jais. Plus jeune et plus audacieux. Quel conseil Agostino Tassi — car c’est bien de lui qu’il s’agit ici — verse-t-il en entonnoir à l’oreille de son complice ? Que concoctent-t-ils ensemble qui effraie à ce point Suzanne ?
Artemisia tremble en contemplant son travail. Elle tremble pour Suzanne, elle tremble pour elle-même. Une même angoisse les étreint l’une et l’autre, sœurs d’un destin identique. Elle ne peut s’empêcher de penser à sa Suzanne comme à une œuvre prémonitoire. L’émotion qu’elle ressent ce matin-là est la même que celle qu’elle a éprouvée en apposant sa signature au bas de la toile. Presque deux ans déjà. 1610. Elle est sûre d’elle, sûre qu’elle a réalisé une œuvre. En tous points, remarquable. Sûre de son talent. Un vrai talent de dramaturge que nul ne peut lui nier. Pas même les peintres les plus reconnus de son temps. Pas même son père.
Artemisia ne peut se retenir de répéter en elle-même les versets du prophète Daniel qu’elle connaît sur le bout des doigts.
« Me voici traquée de toutes parts ! Si je vous cède, c’est pour moi la mort. Si je vous résiste, je ne vous échapperai pas. Mais mieux vaut pour moi tomber innocente entre vos mains que trahir le Seigneur. »
Cruel dilemme que celui auquel se trouve confrontée « la vertueuse Suzanne ». Mais Suzanne ne cède pas. Et Dieu intercède en sa faveur.
Artemisia se doute-t-elle qu’un an plus tard à peine, elle subira le sort cruel auquel, en des temps lointains, Suzanne a été confrontée ? Et son père ? Pas davantage. Comment imaginer que sa propre fille, la chair de sa chair, serait un jour l’objet de la concupiscence effrénée d’Agostino ? Et pourtant, il faut bien se résoudre à regarder la réalité en face. Viol il y a eu, bel et bien. Qu’importe à Artemisia qu’il s’agisse de « stupro semplice », de « stupro qualificato » ou de « stupro violente ». Qu’il y ait eu « défloration consentie », « défloration par la force » ou « défloration avec promesse de mariage » ! Artemisia n’en a cure. Artemisia est salie. La souillure est indélébile et la blessure, inguérissable. Il faut se résoudre au mariage. Mais qui voudra d’elle, après pareil outrage ? Que sera sa vie avec un homme qu’elle n’aura pas choisi ? Et Agostino, pendant ce temps ? Lui, l’auteur du viol, continue de vaquer à ses occupations. Insouciant. Il s’enivre des nuits entières, rentre au petit matin pour se glisser contre elle. Que faire ? Comment le repousser ?
-Ton silence, Artemisia, condition de notre mariage !
-Je t’aime Artemisia, je n’ai jamais désiré que toi !
Voilà ce qu’il lui chuchote à l’oreille, lorsqu’il la tient serrée contre lui ! Mais un homme capable de la pire bassesse est-il capable de tenir sa promesse ? Et elle, a-t-elle vraiment le désir d’épouser celui qui l’a pliée à sa volonté par la force ? La question ne se pose même pas. Pas pour le moment. Artemisia rumine. En attendant, il lui faut continuer à subir les assauts de cet homme, à s’y soumettre sans plainte. Continuer à faire bonne figure. Se cacher à la face des autres, à commencer par celle de son père. Malheur à elle, s’il venait à découvrir le forfait commis sous son propre toit. Heureusement, il y a sa Suzanne et l’espoir d’une exposition prochaine où elle pourra briller par son talent. Deux années de travail avant d’aboutir à la réalisation de cette œuvre ! Elle est fière de sa Suzanne. Fière de ce nu qu’elle offre aux regards des artistes et des hommes.
Tant pis si l’on se gausse d’elle. Elle poursuivra dans la voie qu’elle a choisie. Ce ne sont pas les quolibets et les reproches qui l’arrêteront. Elle les entend, du reste, aussi clairement que si elle les avait déjà vécus.
-Non seulement une femme peintre mais qui plus est, une femme qui se prend elle-même pour modèle et qui se peint nue ! La licence à l’état pur ! À une époque où la Sainte Église poursuit son entreprise de purification des mœurs et de redressement de ses sujets ! Le scandale ! Il va falloir défendre Suzanne, son corps voluptueux, la blancheur de sa chair. Et le bain ! Une scène de tentation et d’érotisme, en un lieu clos. Mais ici, sous le pinceau d’Artemisia, le jardin d’Eros ne s’est-il pas mû en prison ? Suzanne offerte au désir des intrus, implore. Son regard est celui d’une biche affolée. Ses yeux luisent de larmes sur le point de se répandre.
Dans son dos, les deux hommes ourdissent leur complot. Ensemble, avec Suzanne, ils forment un bien étrange trio. Un triangle à trois personnages séparés par un mur. On se croirait au théâtre. Les deux compères sont au balcon et observent le jeune corps opulent offert à leur indiscrétion. Déjà ils imaginent les délices à venir. Déjà ils se préparent à entreprendre la jeune femme. Artemisia s’interroge. Combien de mois se sont écoulés entre le moment où elle a exécuté cette toile et celui où elle a été violée ? Voyons, la date qu’elle a inscrite au dos est 1610. Prémonition ?
Et Agostino ? 1611. Le 6 mai. Elle s’en souvient comme si cela venait tout juste de se produire. Elle était en train de travailler et cela a eu l’air de le mettre en fureur: « Ne travaillez donc pas tant », a-t-il lancé à la cantonade. Il plaisantait peut-être. Mais non ! Il lui a arraché la palette des mains, puis les pinceaux. Il l’a brutalisée, poussée vers sa chambre, a poussé la porte du pied, l’a fermée derrière lui, a tiré le verrou. Il l’a empoignée, culbutée sans ménagement sur le lit, a troussé robes et jupons. « J’avais beau crier, me débattre, je n’ai rien pu faire pour sauver mon honneur. J’ai pleuré, pleuré, encore pleuré. Ses promesses de mariage ne m’ont été d’aucun secours », confiera-t-elle plus tard au cours du procès. Le temps se joue d’elle. Les instants se superposent. Elle revoit l’expression menaçante et vile d’Agostino. Elle se revoit le bourrant de coups de poing et de genou. Peut-être même s’est-elle saisie d’une lame ? Un couteau ? Celui dont elle se sert habituellement pour gratter ses toiles. Elle ne se souvient plus très bien. Son imagination lui joue des tours.
Comment discerner le vrai du faux en pareilles circonstances ? Elle se revoit quelques mois en arrière, peignant paisiblement dans l’atelier d’Orazio. Agostino est là, qui va et vient parmi les apprentis de son père. Tuzia est là, elle aussi. Et Cosimo Quorli, ami de son père. Ils sont toujours ensemble. Et ensemble, ils fomentent les pires bassesses. Qui sait quel complot les occupe ? Ce Cosimo Quorli, tout fourrier du pape qu’il est, elle le déteste. Presque autant qu’Agostino. Elle ne peut oublier de Quorli le regard insistant qui la dévisageait, le soir des obsèques de sa mère. Elle ne peut oublier non plus ce petit sourire narquois qu’il arborait en la dévisageant. Que voulait-il dire au juste ? Avait-il en tête quelque secret dont il aurait aimé lui faire don ce même soir ? Alors même qu’elle était perdue dans son chagrin !
Et dire qu’Orazio voue à ces deux-là une confiance aveugle ! Agostino et Cosimo. Orazio et Agostino. Des inséparables qui jouissent de la protection du pape. Orazio et Agostino disparaissent des journées entières. Et elle, Artemisia, elle reste seule, cloîtrée dans la maison de la via della Croce sous la garde de Tuzia. La vigilante Tuzia. L’obéissante Tuzia, la sirupeuse Tuzia qui la chaperonne sur ordre de son père. Artemisia bout s’insurge tempête. Rien n’y fait. Mieux vaut garder secrète sa hargne. Se détourner de Tuzia. Artemisia aimerait tant suivre Orazio sur ses chantiers. Elle aimerait le regarder peindre les décorations à fresque de la salle du Consistoire à Monte Cavallo. Elle brûle davantage encore de se rendre avec lui au Palazzo Pallavicini pour le voir travailler au « Casino des Muses ». Le Casino ! Agostino et lui ne parlent que du Casino. Il n’y a pas un jour sans que chacun n’évoque sa partie. Archittetura illusionistica prospettive trompel’œil quadratura sotto in su strutture architettoniche peducci decorati. Agostino jongle avec les mots comme avec la construction de son décor.
Le plafond du Casino ? Un jeu d’enfant pour un illusionniste comme lui. Bouffonnerie de smargiasso ou réelle compétence ? Artemisia s’interroge. Quant à Orazio, il passe ses nuits courbé fiévreusement sur ses planches à croquer des figures de musiciennes. Visages regards postures position des mains sur l’instrument à cordes répartition des personnages équilibre des couleurs rythme. Donner du rythme à la scène. C’est cela qui le préoccupe par-dessus tout. Artemisia se glisse dans leurs échanges. Elle brûle de curiosité d’intérêt de passion pour ce projet qui occupe son père.
Trouver le moment opportun pour parler à Orazio. Lui faire part de son désir. Elle renonce. Elle brûle mais n’ose tergiverse tourne sa demande dans sa tête. Elle est sur le point de. Mais non ! Le chantier est le domaine des hommes. Sa présence au milieu des peintres et des apprentis pourrait constituer une gêne. Être mal interprétée. Non, décidément, cela n’est pas possible. Il lui faut se contenter des commentaires qu’échangent entre eux les deux peintres. Maintenant qu’Agostino a fixé les décors du plafond, qu’il en a construit l’architecture, délimité les volumes distribué voûtes colonnades corniches caissons, élaboré les frises en trompe-l’œil, il ne reste plus à Orazio qu’à animer l’univers céleste d’Apollon. Les Muses sont là, couchées sur les planches que le peintre a préparées avec soin. Il lui faut en reporter les formes dans les espaces qu’Agostino a préparés pour elles. Harpistes violoncellistes flûtistes organistes citharistes contrebassistes luthistes prennent place sur le balcon. Le concert céleste peut commencer.

BEAUX-ARTS, Artemisia Héroïne de l’art,
Musée Jacquemart André
Institut de France 2025, p.31.
Suzanne et les vieillards, 1610, huile sur toile
Coll. GRAF VON SCHÖNBORN, Pommersfelden
XI
SUSANNA E I VECCHIONI
Io, vedi, ho tutte le ragioni per dipingere la scena del delitto. A differenza dei miei più celebri maestri ho conosciuto la violenza. Loro si ispirano agli antichi racconti per descriverla ed esibirla agli occhi di tutti. Per mostrarla. Io, questa violenza, l’ho subita. L’ho attraversata. L’ho vissuta nella più profonda intimità della carne. Si è avventata su di me e mi ha distrutta. Mi ha straziata. E l’oltraggio mi è rimasto impresso addosso come un marchio. Per quanto cerchi di sfregarlo via, non scompare. Sento i miei muscoli doloranti. Lo sperma di Agostino scorre fra le mie cosce, mescolato al sangue del mio sesso. Ti sconvolge, Isolda, sentirmi parlare così? Tuttavia è la pura verità. Questo Agostino, vedi, lo voglio maledire pubblicamente. A causa sua non soltanto ho perso la verginità, costretta a forza e gettata sul letto come una volgare femmi na offerta, non soltanto ho subito l’affronto e il dolore dello stupro, ma sono stata pure disonorata. Puttana, puttana... Li sento ancora alle mie spalle che mi trattano come una puttana quando passo nelle stradine oltre via della Croce, dietro il Corso. Dovrò coprirmi il volto? Nascondermi ? Rasentare i muri e uscire nelle ore più tarde ? Desidererebbero tanto che fossi una di quelle puttane, una vera, per potermi sputare in faccia il loro odio, apertamente, senza darsi pena.
Pensate, una ragazza che dipinge, come suo padre! Come un uomo! Che audacia! Che presunzione! Non può essere che una sgualdrina. So bene quel che dicono. Dicono anche che è colpa di Orazio. Perché mi ha presa come modella e mi ha fatta posare nuda. Sotto lo sguardo licenzioso e insidioso dei garzoni.
“Che vergogna, alla sua età! Appena pubere e già offerta !”
“Il vecchio Orazio non sa che il nudo è proibito dalla Chiesa ?”
“Non gli importa di esporre così sua figlia alla concupiscenza degli uomini. Non stupisce che Agostino Tassi non abbia potuto resistere a una simile tentazione !”
“Lui, povero, è solo un uomo! Vittima delle sue fantasie e pulsioni. Poco importa che sia amico di lunga data di suo padre, suo compare per di più”.
“Mi chiedo se il padre... vai a sapere... potrebbe anche essere che...”
Tacete, voci. Concedetemi un po’ di tregua. È tempo che torniate a dormire nelle spelonche e nei tafoni che ospita il mio corpo. È tempo che mi riprenda. Via, andate !
Le voci poco a poco si attutiscono. Rientrano. Artemisia è di nuovo sola con se stessa. Il suo respiro si è acquietato. Si incammina verso la bottega e apre il baule pesante in cui ripone i suoi colori e pennelli, i telai per i quadri e le sue tele. In mezzo ai dipinti la sua primissima opera. Toglie il panno che l’avvolge. Susanna sorge. La sua Susanna al bagno. O piuttosto Susanna e i vecchioni. La sua primissima creazione. Artemisia nutre una grande tenerezza per questa tela. La allontana da sé, braccia tese, collo piegato. Inconsciamente esegue lo stesso movimento di torsione del busto della sua eroina. Busto e braccia. Le sta di fronte. L’osserva. Gioco di specchi. Si guarda. È Susanna. Intravede nelle forme di Susanna quelle del suo stesso corpo. Non il corpo dei suoi sedici anni, ma quello che avrà quando sarà donna. Una donna fatta.
Immagina quel corpo femminile e ne percepisce le curve piene, le rotondità. Il profilo morbido del seno svela già il corpo che avrà fra qualche anno. La lunga capigliatura cade in ritorti boccoli ribelli lungo le spalle, sulla schiena. Sposta la tela, l’orienta in controluce. La luce gioca con le sfumature cangianti della sua pelle, la bianchezza dell’incarnato e l’incavo del ventre. L’ombelico, al centro. Un’evidenza.
Seduta sul bordo di una vasca, un piede nell’acqua, Susanna è nuda. Quasi completamente nuda. Un lembo del drappo ricopre le cosce e nasconde il pube. Labbra semiaperte, mani tese, Susanna tenta di sfuggire all’indiscrezione dei vecchioni. I tratti del viso, il movimento di torsione del busto ritraggono lo smarrimento di fronte all’insidia che rappresenta l’irruzione dei due uomini nella sua intimità svelata. Sporgendosi al di sopra del muro che li separa e che rinchiude Susanna, sono là, curvi su di lei. Si sporgono. Per vederla meglio. Per meglio abbrancarla. Stretti uno all’altro, formano un solo corpo. Il corpo del delitto. Un unico corpo che crea una massa. Due teste spuntano dalle spalle. Due vecchi ? No, uno solo. Quello che guarda verso Susanna, un dito sulle labbra. Sss... Non bisogna suscitare i sospetti di un marito geloso. Né quelli di un amante al quale la bella ha forse dato appuntamento. Il secondo è molto più giovane. Come dimostra l’abbondante capigliatura ricciuta, nero carbone. Più giovane e più audace. Che consiglio Agostino Tassi – perché senz’altro è di lui che si tratta – sussurra all’orecchio del suo complice ? Cosa tramano insieme per spaventare a tal punto Susanna ?
Artemisia trema contemplando il suo lavoro. Trema per Susanna, trema per se stessa. La stessa angoscia avvinghia entrambe, sorelle di un identico destino. Non può impedirsi di pensare a Susanna come a un’opera premonitrice. L’emozione che prova quel mattino è la stessa che ha provato nell’apporre la propria firma in basso alla tela. Sono già passati quasi due anni. 1610. È sicura di sé, sicura di aver realizzato un’opera notevole sotto ogni punto di vista. Sicura del suo talento. Un vero talento da drammaturgo che nessuno le può negare. Nemmeno i pittori più celebri del suo tempo. Nemmeno suo padre.
Artemisia non può smettere di ripetersi i versi del profeta Daniele che conosce a menadito. “Sono braccata da ogni parte ! Se cedo, è la morte per me. Se rifiuto, non potrò sfuggirvi. Meglio cadere innocente fra le vostre mani che tradire il Signore”. Dilemma crudele quello che deve affrontare “la virtuosa Susanna”. Ma non cede. E Dio interviene in suo favore.
Artemisia poteva immaginare che appena un anno dopo avrebbe subito la stessa sorte crudele che aveva dovuto affrontare Susanna ? E suo padre? Nemmeno. Come figurarsi che la propria figlia, carne della sua carne, sarebbe stata un giorno l’oggetto della concupiscenza sfrenata di Agostino ? Eppure bisogna decidersi a guardare la realtà in faccia. Lo stupro c’è stato davvero. Che importa ad Artemisia che si tratti di ‘stupro semplice’, ‘stupro qualificato’ o ‘stupro violento’. Che ci sia stata una ‘deflorazione consensuale’ o ‘deflorazione forzata’ o ‘deflorazione con promessa di matrimonio’! Ad Artemisia non interessa. Artemisia è stata insozzata. La macchia è indelebile e la ferita inguaribile. Deve sposarsi. Ma chi la vorrà dopo un simile oltraggio ? Che vita la aspetta accanto a un uomo che non l’avrà scelta ? E Agostino, nel frattempo ? Lui, l’autore dello stupro, continua a dedicarsi alle sue faccende. Incurante. Si ubriaca per notti intere, rientra all’alba per strusciarsi su di lei. Cosa fare ? Come respingerlo ?
“Il tuo silenzio, Artemisia, a condizione del nostro matrimonio !”
“Ti amo, Artemisia, ho sempre desiderato solo te !”
Ecco quel che le sussurra all’orecchio, quando la tiene stretta a sé. Ma un uomo capace delle peggiori bassezze è forse capace di mantenere una promessa ? E lei vuole davvero sposare colui che l’ha piegata al suo volere con la forza ? La questione non si pone. Non ora. Artemisia rimugina. Nell’attesa deve continuare a subire gli assalti di quest’uomo, sottomettersi in silenzio. Continuare a fare buon viso a cattivo gioco. Nascondersi di fronte agli altri, a partire da suo padre. Guai a lei se scoprisse l’infamia commessa sotto il suo tetto. Fortunatamente ha la sua Susanna e la speranza di esporre presto le opere che metteranno in luce il suo talento. Ci sono voluti due anni di lavoro per completare quest’opera ! È fiera della sua Susanna. Fiera di questo nudo che offre agli sguardi degli artisti e degli uomini. Peggio per loro se si prendono beffe di lei. Proseguirà la strada che ha scelto. Non saranno i lazzi e i rimproveri a fermarla. Del resto, li sente chiaramente, come se li avesse già vissuti.
“Non solo è una donna che dipinge ma ha persino scelto se stessa come modella e si è ritratta nuda! La depravazione incarnata !”
In un’epoca in cui la santa Chiesa persegue la sua impresa di purificazione della morale e di risanamento dei fedeli ! Scandaloso ! Bisogna difendere Susanna, il suo corpo voluttuoso, la bianchezza della carne. E il bagno ! Una scena di tentazione ed erotismo, in un luogo chiuso. Ma sotto le pennellate di Artemisia il giardino di Eros non si è forse mutato in prigione ? Susanna, offerta al desiderio degli intrusi, è implorante. Il suo sguardo è quello di una cerva sgomenta. Ha gli occhi lucidi di lacrime che stanno per sgorgare.
Alle sue spalle i due uomini ordiscono il loro complotto. Insieme a Susanna formano un trio assai inusuale. Un triangolo di tre personaggi separati da un muro. Sembra di essere a teatro. I due compari sono al balcone e osservano il giovane corpo florido offerto alla loro sfrontata curiosità. Già immaginano le delizie che li aspettano. Ormai si preparano ad abbordare la fanciulla. Artemisia riflette. Quanti mesi sono passati tra la realizzazione di questa tela e lo stupro ? Vediamo, la data che ha scritto dietro è 1610. Una premonizione ?
E Agostino ? 1611. Il 6 maggio. Se ne ricorda come fosse ieri. Era intenta a lavorare e ciò sembrava mandarlo su tutte le furie : “Lavori troppo”, buttò lì. Forse la stava canzonando. Invece no ! Le strappò di mano la tavolozza e i pennelli. La malmenò, spinse la porta con un calcio, la chiuse dietro di sé, tirò il chiavistello. L’afferrò, la rovesciò brutalmente sul letto sfilandole abiti e sottane. “Per quanto gridassi e mi dibattessi non ho potuto fare nulla per salvare il mio onore. Ho pianto, pianto e ancora pianto. Le sue promesse di matrimonio non mi hanno aiutata a salvarmi” confesserà più tardi durante il processo. Il tempo si è preso gioco di lei. Gli istanti si sovrappongono. Rivede l’espressione minacciosa e vile di Agostino. Si rivede mentre lo colpisce con i pugni e le ginocchia. Ha forse afferrato una lama ? Un coltello ? Quello che di solito usa per raschiare le tele. Non ricorda più bene. L’immaginazione la inganna. Come distinguere il vero dal falso in simili circostanze ?
Si rivede qualche mese prima mentre dipingeva serenamente nello studio di Orazio. Agostino è là, va e viene fra gli apprendisti di suo padre. Tuzia è presente, anche lei. E Cosimo Quorli, amico di suo padre. Sono sempre insieme. E insieme tramano le peggiori bassezze. Chissà che cosa complottano oggi ? Lo detesto Cosimo Quorli, quel furiere del papa. Quasi quanto Agostino. Non può scordare lo sguardo insistente di Quorli che la fissava la sera delle esequie di sua madre. Né può dimenticare quel sorrisetto beffardo che sfoggiava fissandola. Che cosa voleva ? Pensava a qualche segreto di cui renderla partecipe quella sera ? Persino quando era smarrita nel suo dolore !
E dire che Orazio si fidava ciecamente di quei due ! Agostino e Cosimo. Orazio e Agostino. Gli inseparabili che godono della protezione del papa. Orazio e Agostino sparivano per giornate intere. E lei, Artemisia, rimane sola, confinata nella casa di via della Croce sorvegliata da Tuzia. La vigile Tuzia. L’obbediente Tuzia, la sdolcinata Tuzia, che la controlla per ordine di suo padre. Artemisia è esasperata si adira si infuria. Non c’è niente da fare. Meglio celare la rabbia. Allontanarsi da Tuzia. Artemisia vorrebbe tanto seguire Orazio ai cantieri. Vorrebbe guardarlo affrescare la sala del Concistoro a Monte Cavallo. Ma ancor di più brucia dall’impazienza di recarsi con lui a palazzo Pallavicini per vederlo lavorare al Casino delle Muse. Il Casino! Lui e Agostino non parlano d’altro. Non passa giorno senza che ciascuno accenni alla sua parte. ‘Architettura illusionistica prospettive trompe–l’œil quadratura sotto in su strutture architettoniche peducci decorati’. Agostino si de streggia con le parole come con la costruzione del suo fregio.
Il soffitto del Casino ? Un gioco da ragazzi per un illusionista come lui. Buffonate da smargiasso o vera abilità ? si domanda Artemisia. Quanto a Orazio, passa le notti curvo sulle sue tavole a schizzare le figure delle musiciste. Volti sguardi posture posizione delle mani sullo strumento a corda ripartizione dei personaggi equilibrio dei colori ritmo. Dare ritmo alla scena. Questa è la sua maggior preoccupazione. Artemisia si inserisce nelle loro conversazioni. Brucia di curiosità d’interesse di passione per quel progetto che occupa suo padre.
Trovare il momento opportuno per parlargli. Comunicargli il proprio desiderio. Rinuncia. Arde ma non osa tergiversa lascia che la richiesta le frulli in testa. È sul punto di… Ma no ! Il cantiere è il regno degli uomini. La sua presenza fra i pittori e gli apprendisti potrebbe dare fastidio. Essere mal interpretata. No, è assolutamente impossibile. Deve accontentarsi dei commenti che si scambiano i due pittori. Ora che Agostino ha definito le decorazioni del soffitto, ne ha costruito l’architettura, delimitato i volumi distribuito le volte colonnate cornici cassoni, elaborato i decori a trompe–l’œil, bisogna solo che Orazio animi l’universo celeste di Apollo. Le Muse sono là, distese sulle tavole che il pittore ha preparato con cura. Deve trasferire le forme negli spazi che Agostino ha predisposto per loro. Arpiste violoncelliste flautiste organiste suonatrici di cetra contrabbassiste liutaie si dispongono sul balcone. Il concerto può avere inizio.

Angèle Paoli Artemisia allo specchio / Breve storia delle mie vite,
Traduzione Anna Tauzzi. In copertina : Particolare dell’ Autoritratto come allegoria della pittura (olio su tela,1638-1639),
Vita Activa Editoria, Trieste 2018, Parte Prima, pp. 51 - 56.
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