<<Poésie d'un jour

"Non."
Aquatinte de → G.AdC
] A [: -Dé
On pourrait croire qu’il en bégaie.
C’est une sorte de balbutiement maîtrisé.
Est-ce ainsi que parle l’agonie ?
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé.
Ce que la chair défait, le verbe le remplume, renchérit,
le relève.
Je n’ai plus que les os un squelette je semble
Est-ce ainsi, sur son lit de mort, la défaite généreuse,
la dissolution prolixe, non pas bouche ouverte du lutteur
en déroute, d’où s’exhale un souffle pénible, mais la verve
rythmée, chaleureuse, ambiguë :
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis !
Je m’en vais le premier vous préparer la place.
] A [: Dé-
En premier lieu la désolation, le désir, le désastre, et
confesse un goût sans partage pour le mot « défaire »,
un dédain pour ceux qui cherchent le succès,
les ambitieux, les arriveurs.
] A [: Dé-
Un écho de chaos, de violence, de brutalité sourde.
Mais ce n’est pas ce qui me charme ;
c’est la main qui lâche, le verre qui tombe et se brise,
le corps qui s’affaisse sur lui-même
sans explication.
Non.
C’est la main qui lâche le verre à terre pour que ce dernier
se brise, le corps qui, sans que l’esprit s’absente mais
soumis à sa force, s’emploie à chuter, et chute.
] A [: Dé-
Plus tenace que l’éclat du désordre, celui de la dépossession
volontaire.
] A [: Dé-
Tenter de le traduire. « Ent- » (en allemand) fonctionne,
Mais demeure limité. Pour défaire, ce n’est pas
« ent- » qu’on utilise. Et pour désir non plus. Mais oui
Pour découverte, dépossession. Non pour désordre.
Cela ne coïncide pas.
] A [: Dé-
Ronsard est une réponse. « Mon corps s’en va descendre
où tout se désassemble ».
Royaume du Dé, la mort.
Qui décharne dénerve démuscle dépulpe avant
que de défaire ce que la vie tenait.
Comme il martèle et comme il œuvre, son alexandrin 4x3,
et comme il tient précisément, sans reste, sans débord,
ce travail de corruption, cette déliquescence jusqu’à
le contredire.
] A [: Dé-
Ce n’est pas un hasard, c’est un dédale. La langue.
Un égarement. Sans déperdition d’énergie. Une jouissance
du jeu. La mort ne ressemble pas à cela. Ici, dans le poème,
chaque embranchement un nouveau départ, chaque chemin
emprunté mille fois avant nous, portant la mémoire
de ces pas, qu’on ne suit jamais tout à fait. Il n’y a pas
de fin à cette errance, l’entrée est un plus petit mot,
deux lettres, trois, pas même un mot complet, un osselet,
juste assez de matière verbale pour se lancer, se laisser
entraîner, poursuivre, infiniment, indéfiniment.

Lucie Taïeb, Déalogue 3, en aparté avec Lucie Taïeb, ] A [ AFFIXE, dé [, revue littéraire des préfixes et des suffixes n°2, avec le soutien de la Fondation Jan Michalski 2024, pp. 65, 66, 67, 68.