Laurine Rousselet, un article d'Angèle Paoli in Invitée du mois ( Janvier 2025 ) de Claude Ber
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LAURINE ROUSSELET / source
Comment se décide-t-on à publier, lorsque l’on ne garde rien ? Laurine Rousselet ne se retourne pas sur elle-même, sur ce qu’elle a écrit en amont. Elle s’y refuse. Elle élimine et elle jette. Elle ne garde que ce qu’elle a décidé de choisir. C’est sans doute que Laurine Rousselet vit-écrit — les deux verbes sont inséparables — dans la fragmentation de l’instant, dans le galop de la double tension écrire/vivre. Dans la stupeur que l’étrangeté d’être suscite en elle continûment. Écrire, pour Laurine, est indissociable de la vie quotidienne. Écrire, c’est se laisser emmener par le choc premier de la sidération, c’est se laisser saisir par le fracas du silence. Écrire donc, « à brides abattues », très tôt le matin ou dans cet entre-deux qui sépare la nuit de l’aurore, et galoper, jusqu’au vertige, à la « vitesse du saisissement ».
À la question qui lui est posée « Que vouliez-vous faire à dix-sept ans ? », Laurine Rousselet répond : « Écrire. Je ne vois que ça ! » Née à Dreux (en Eure-et-Loir) en 1974, l’auteure publie ses premiers poèmes en 1998 dans le numéro 88 de la revue « Digraphe», consacré à la poésie chilienne. Elle n’a cessé depuis d’apporter sa contribution à différentes revues en tant que rédactrice et traductrice. En juin 2002, sur l’invitation de Madame Arlette Albert-Birot, elle participe à la rencontre poétique du Marché de la poésie sur le thème « Rives et Dérives de la Méditerranée ». Laurine Rousselet monte sur le podium pour lire ses poèmes. C’est sans doute l’une des rares fois où la jeune poète, peu encline à s’inscrire dans le tourbillon des rencontres parisiennes de juin, se produit place Saint Sulpice. Pourtant, à partir de ce moment-là, son œuvre prend forme et les publications se succèdent au fil des ans. Tant dans le domaine de la poésie que dans ceux du récit et de l’aphorisme. Pour l’écrivaine, la question des genres, une question purement littéraire selon elle, ne la concerne pas. La poésie est un état. On peut la retrouver partout, sans se préoccuper de la cantonner et de l’enfermer dans un genre particulier.
L’année 2005 est une année marquante pour la poète. Sur l’invitation d’Arlette Albert-Birot, Laurine Rousselet effectue un voyage à Cuba, en compagnie de Bernard Noël. Tous trois participent à la « Semaine de la Francophonie » qui se tient à La Havane. La poète retournera à Cuba en 2009 en tant que boursière des missions Stendhal.
Parmi ses ouvrages les plus importants figurent le recueil poétique bilingue français-arabe Mémoire de sel, traduit par Abed Azrié (L’Inventaire, 2004) ; Séquelles (Dumerchez, 2005) pour lequel Bernard Noël souligne qu’il n’y a dans ce recueil « pas d’autre règle que cet ajustement soucieux de réunir dans une même scansion le verbe et la perception, le premier écorchant la seconde pour restituer la vibration nerveuse au lieu de l’imager » (note parue dans le numéro 5 du « Marché des Lettres »), recueil bilingue français-catalan traduit par Manuel Costa Pau (« Llibres del Segle », Gaüses, 2008) ; Journal de l’attente (Isabelle Sauvage, 2013) ; Crisálida, dans lequel figure « Sans lui », un long poème dédié à Hubert Haddad, rencontré à l’âge de 25 ans (« L’Inventaire », 2013) ; Nuit témoin (Isabelle Sauvage, 2016). Parmi les récits, citons L’Été de la trente et unième (L’Atelier des brisants, 2007) ; De l’or havanais (Apogée, 2010) ; La Mise en jeu (Apogée, 2010). Hasardismes enfin, recueil d’aphorismes (L’Inventaire, 2011) et l’essai-poésie Syrie, ce proche ailleurs (L’Harmattan, 2015).
Laurine Rousselet est aussi à l’origine de nombreux livres d’artistes. L’Ange défunt, illustrations d’Hubert Haddad (Alain Lucien Benoit, 2003) ; Au jardin de la chair cernée, dessins de Thierry Le Saëc (La Canopée, 2008) ; Amaliamour, gravures d’Albert Woda (de l’Eau, 2010) ; Faim et Faim, peintures de Guillaume Guintrand (Approches, 2010) ; Vacarmes, photographies et collages d’Yves Picquet (Double Cloche, 2012), Ce matin six heures, gravures sur bois de Jacky Essirard, l'Atelier de Villemorge, 2013.
Depuis ses lointains débuts, l’écriture est en chemin. Elle évolue avec le temps dans une voix qui est, selon les mots de l’écrivain Marcel Moreau, une « grande voix ».
« De poème en poème, Laurine affine son art de grimper aux extrémités du non-dit. Elle a cette souplesse-là, si rare : cette pulsion-là si téméraire. On se demande ce qu’elle fait, dans les hauteurs du non-dit, à quel vertige elle s’initie, mais le certain, c’est quand elle redescend, elle est une Voix, déjà une grande voix. »
Laurine Rousselet réalise un « Sur les Docks », France Culture, sur Marcel Moreau, qu’elle nomme volontiers son « plus fidèle et vieux compagnon », ce « possédé des mots ». Diffusion le 4 janvier 2016.
Moreau, Haddad, Noël, les poètes composent une figure trinitaire fondatrice qui a orienté le destin de poète de Laurine Rousselet. Outre ces pères fondateurs, Laurine Rousselet évoque ses amis syriens dont elle épouse la cause. Dont le photographe et ami de Damas, Nassouh Zaghlouleh. Pour l’auteure, s’inscrire dans le monde, dénoncer les horreurs d’un conflit qui s’éternise, dénoncer la destruction organisée et systématique d’un pays, relève d’une volonté métaphysique quotidienne inébranlable. Et l’écriture participe à part entière de cette volonté.
En amont, parmi les poètes de sa jeunesse, figurent Marina Tsvetaïeva qui l’a autorisée à entrer en poésie et qui ne l’a jamais quittée. Et Alejandra Pizarnik. Antonin Artaud. Mais aussi les grands noms russes du siècle d’argent : Maïakovski, Pasternak, Mandelstam… Plus tard, Paul Celan.
Aujourd’hui, outre le temps qu’elle réserve à l’écriture de ses ouvrages poétiques, Laurine Rousselet poursuit son travail de revuiste. Elle dirige « Les Cahiers de l’Approche », plaquette de poésie bilingue, depuis 2011. Début 2016, elle a consacré deux articles au poète Serge Pey. L’un, « Manifeste magdalénien », pour la revue papier « L’Actualité Poitou-Charentes » ; l’autre pour le numéro 92 de la revue mexicaine « Archipielago » : « Serge Pey o el vidente del Nierika ».
France Culture a donné à entendre la voix de Laurine Rousselet à plusieurs reprises. L’émission « L’Effractionnaire » (L’Atelier de la création) est consacrée à son œuvre, au travers des voix d’Hubert Haddad et de Marcel Moreau. Réalisation par le compositeur Abdelhadi El Rharbi, textes lus par Anouk Grinberg.
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Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli
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