| 70. Anne-Lise Blanchard | 71. Michèle Dujardin | 72. Marie-Claire Bancquart |
Source Naissance dans les toilettes des morts, la petite fille au placenta de plâtre accouche avec son baigneur sous le bras ; pas une âme, ni foulard ni main chaude, les quatre coins sont vides - seule la bouche-citerne s’agenouille, toutes dents dehors, pompes aspirantes bâillant au bout des tentacules, à même la nuit d’urine et de chlore qui ronge les socquettes de fil - accoudées à la cuvette, les brindilles blanches se couvrent de marbrures, luttent contre l’hiver, et tigelles des poignets, duvets, manches ballon s’égarent dans les frises, les robinets et les siphons, puis retombent avec le souffle, tremblant désastre de plumes, d’ailes, douleur disjointe par le milieu, contre la porte - mais le néon étripe l’esclandre, l’étale de la plinthe au plafond, alors appels et cris, dans la tête, sous les côtes, se figent sur le devant de la robe, au balcon de smocks, des doigts de géants ont déchiré les coutures, cassé leurs ongles dans les fronces, les crins des mouchoirs de deuil raclent la peau et cisaillent les roses, disséminent sur la neige graines de chiendent et de folle avoine : au jardin des rires jamais éclos, chaque jour que Dieu fait, l’hiver est précoce barrettes et frissons dans les rubans défaits, cheveux clairs roulés sur les ramilles, phalanges de craie, tout se tait - parfois un bredouillis dans sa bulle de bave remonte, l’entendent les murs quand ils prêtent l’oreille, mais le néon veille, gobe l’œuf, pulvérise le germe : dans les seins, quelque chose casse, d’un coup du placement aux outrages, le dedans est dehors, là, dans la flaque entre les pieds où les genoux observent des coquelicots flottants, démembrés au coupe-coupe, règles tendues par leur absence même, dans la nuit sidérée, dormie les yeux ouverts avec rage et sans réparation sous la poussée des palmes, de l’horizon du trou noir aux parois carrelées du monde, l’univers-île se dilate dans son pochon de sang, les boutons de bottine s’affolent, des ampoules s’allument autour du crâne mou, entre les pieds dans la flaque plus trace du cygne, plumage dégrafé, col rompu au lacet de cuir il a fondu sous le jet, chassé vers la bonde par les vents de latex aux doigts d’anges faits - t’inquiète petite, plus à faire, faits d’ailleurs, les nausées t’accouchent seules de caillots de plâtre - pieds pris dans les volants de ta chemise, tu étouffes le matin sous les coussins pressés, les pelletées de terre, et tu vois partout dans tes draps le polichinelle toutes bosses devant courant à son affaire - le néon du côté gauche, découpe des berceaux de fer pour naissances sous X à figures de gravats : pures présences accusatrices, index pointé sur ton carnet de notes fille brève à l’hermine défunte, au coquelicot interné dans la tête de bois, ta dot est d’ardoise, de dînette ébréchée pour vendredi maigre, de prières inversées dans les tiroirs, dans les moulins depuis la nuit des mères - reins de douleur que cette masse, pour les mères, courbées en deux, à chaux et à sable cette poisse, à chaque lune, pour chaque fille de mère, cette lie de ventre, de sang, de fond de poche à baigneur qui recommence fille non avenue, comme ton avenir ton passé est bréhaigne, se conjugue comme lui au présent perpétuel : ils sont cette veuve sans âge, visiteuse d’enfants placés sous le corset, dans le giron noir le baigneur se dévisse, arc-boute ses bras creux à la colonne de faïence - dans sa tête il fait sombre : un cornet à dés où les yeux tombent sur des glissoires molles - parfois, plein front, une idée l’attaque, d’infanticide ou de fessée, coudre la bouche, brûler le sexe, souder les paupières - pousser à l’envers, revenir à la terre le baigneur n’a pas d’âme où se regarder, il montre ses blessures à chaque claquement de porte : là, dans l’aine ouverte à la pointe du compas, les élastiques inutiles, ici, par les doigts grignotés l’air qui siffle, là, les cheveux peints qui s’écaillent, et ce rêve des chiffons de chair arrachés à deux mains du palais-dévidoir - toutes tâches sans mots, car le baigneur vorace est en avant de la langue, il ne l’entend pas, il n’entend que sa faim, sa bouche qui mâche le vide seule accroupie dans le plâtre, sur la flaque, la petite fille flotte, alors qu’accouche d’un placenta de coquelicot ce corps inconnu aux orifices déplacés, au visage improvisé, aux frontières délayées fuyant vers la bonde, elle flotte accroupie, petite pousse, elle fille, rassemble bras, pétales emportés, tiges dédoublées, lèvres fendues et pousse, mais que voit-elle dans leurs toilettes, entre les cuisses, quand les morts lui tendent le miroir : un éclair, un couinement, un rongeur, car nul ne s’arrête à sa hauteur, pas une âme au fond de l’eau, et dans son angle mort, le baigneur est interdit, la nuit déjà partie, demain fini - quant au jour, il est introuvable Michèle Dujardin Texte inédit pour Terres de femmes (D.R.) |