JE VIS UNE HISTOIRE D’AMOUR
1
Je vis une histoire d’amour
Pas d’autre signe vers où l’on va que
FATIGUE
piquer de la tête vieille à la veillée condescend l’enfant quoi d’obscur en si condescendante pitié le trouble ou
SOLITUDE
m’allège me dévaste c’est selon je dis à l’ami je dis à rené un jour d’hiver rouler jusqu’au petit lac désert rires et cris entre les troncs cela fut
m’alourdit d’être encore sans l’être plus
PRÉSENT le
réel tête comme une outre les corps s’éprouvent d’avoir éprouvé les sens d’avoir ressenti je dis à rené l’ami
c’est même c’est autre ma légèreté de vieillir c’est cette histoire que je vis
Une fin encombre mes mains ce qu’il faut que j’en fasse
chose
dans
mes mains comme partage des eaux
découpe les eaux bois sombres reflet sombre des bois plus qu’eau la lumière de l’eau
yeux mi-clos je dis à l’ami
qu’histoire m’envole sans épaule où me retenir
sur l’ombre s’avance
île tranchante lancéole lumineuse jupe de fée n’est pas la
FIN
marquée de la fin que jupe mon
ENVOL
je vis une histoire d’amour
Mains ouvertes indécises leur mouvement de tenir
quoi
cette chose
mais qu’elles le doivent perle à leurs branches gris et vieilles mousses tout le
CIEL
immense
piqueté de menu
comme un front sous l’humide
je vis une histoire d’amour
2
Non intacte du vécu non épargnée
par lui
non assujettie
n’est pas égréner la mince verticale mot à mot recomposant la
phrase je dis à l’ami je dis à rené je ne peux que doute soudain me poigne plus fulgurant que
VÉRITÉ
Quatre jours enfouie
à peine de sous les décombres à mains nues sortie
entonne le chant de grâce
à peine à mains nues une femme de sa bouche le
CHANT
jailli
À peine tous autour
― gémissement des mutilés sans morphine
silence des morts sous les décombres
Dey o ! M ap rele dey o. Ayiti ―
à même les rues
tous autour
faisant partie du chant
le reprenant
À même les rues à même le deuil ayiti la vie
mains nues
jaillie
Je vis une histoire d’amour est l’amour que je vis
3
Cerveau multitude
et le corps
se traîne
sommeil fiction qu’entre mes cuisses revienne
ne vienne pas
en chaque silhouette qui passe
la virtualité d’une rencontre
approfondit l’instant
Une femme fume assise à la terrasse du café / un homme s’asseoit au soleil sur un banc de la gare / attend son train
Café terminus décor nul / Plus rien où le regard s’avive
Arrivée de voyageurs / Des couples se rejoignent / Regagnent deux par deux les voitures / Manoeuvre des cars/ Plus rien à nouveau
Je vis une histoire d’amour
Je dis à l’ami je dis à rené Plus rien est infini d’où librement
rassembler (extraire ? cueillir ?) le
TOUT
est cette histoire d’amour que je vis
Paix que rien ne trouble
hors la perte
Paix que rien ne déchire
hors l’absence
Paix pauvre qui est un luxe cinq enfants traversant la place de la gare ni pierre intifada ni roquette ni balle hors cette balle d’un enfant à l’autre rebondie
Je dis à l’ami je dis à rené le soleil sur le visage c’est par le visage de cet homme que cette femme à l’ombre de la terrasse le sent
Je dis à rené je dis à l’ami voix haute ou basse parler est sans écho toute voix onde
virtuelle à moins que ne ricoche sur d’autres voix
réels éclats
Sur la place de la gare discrètement pleure
un vers de Verlaine
Je vis une histoire d’amour
Françoise Clédat
(extraits d’un livre en cours d’écriture)
Texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)
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Photos, G.AdC